Démondialiser et coopérer

Blog d'Aurélien BERNIER

posté le vendredi 18 avril 2014

L'hypocrisie absolue de la droite libérale

 

 

Extrait de Désobéissons à l'Union européenne ! (2014) -   Dès qu'il s'agit des questions européennes, l'Union pour un mouvement populaire (UMP) de l'ancien président Nicolas Sarkozy partage avec le Parti socialiste le goût du ridicule. Dans la « charte des valeurs » du parti, on peut lire : « L'Europe est notre quotidien et notre avenir. Après des siècles d'affrontements meurtriers où l'Europe a failli perdre son âme et grâce à l'œuvre des pères fondateurs de la communauté européenne, nos démocraties ont décidé de se rassembler et de s'interdire les rapports de haine et de guerre. » Pour ceux qui ne verraient pas le lien évident entre la paix et l'ultralibéralisme à l'européenne, l'UMP avertit: « la paix n'est pas un acquis définitif, c'est le fruit d'une volonté commune qu'il faut poursuivre ». Et c'est sans doute la raison pour laquelle il faudrait accepter sans broncher le libre échange, la libre concurrence et le monétarisme de l'euro. Comme chez les écologistes, l'Union européenne est une « réponse à la mondialisation », mais une réponse libérale : « Au-delà de la nécessité de renforcer l'intégration économique et la coordination budgétaire, nous sommes attachés à une Europe forte qui relèvera plus efficacement les défis d'un monde où la concurrence entre les pays est de plus en plus rude. L'Union européenne nous permet, ensemble, de développer des chantiers qui ne sont plus à la portée d'un seul pays dans le nouveau contexte de la mondialisation. »

 

Le fait de parer la construction européenne de toutes les vertus n'empêche pas la droite libérale de pratiquer un double discours à son sujet, pour de basses raisons de stratégie politique. Ainsi, lorsqu'il était président de la République, Nicolas Sarkozy s'est livré plusieurs fois à un numéro d'acteur au sujet de la régulation du commerce, réclamant un « protectionnisme européen » qu'il sait parfaitement impossible. Ce fut notamment le cas en 2010, avec la création d'une éphémère « taxe carbone ».

 

En novembre 2006, le présentateur de télévision Nicolas Hulot lançait une démarche baptisée « Pacte écologique » dont la vocation était de peser dans la campagne de l’élection présidentielle de 2007. Parmi les mesures qu’il soumettait aux candidats figurait la mise en place d’une taxe carbone, calculée sur les émissions de gaz à effet de serre produites par la combustion d’énergies fossiles et liées à la fabrication et au transport des biens de consommation. Comme la plupart des candidats, Nicolas Sarkozy signait le Pacte écologique. Sitôt élu, en mai 2007, il lance le Grenelle de l’environnement qui rassemble des représentants de la société civile et de l’État pour mettre en place un plan d’action en matière d’écologie. L’instauration d’une taxe carbone est annoncée : « Je m’engage à ce que la révision générale des prélèvements obligatoires se penche sur la création d’une taxe "climat-énergie" en contrepartie d’un allègement de la taxation du travail. » Parallèlement, le président de la République pose le problème au niveau européen : « Il n’est pas normal qu’un produit qui traverse le monde coûte moins cher qu’un produit local parce que le prix de son transport et de sa production n’intègre pas ses émissions de gaz à effet de serre. J’ai posé cette question à l’Union européenne. Nous avons été les premiers à soumettre nos principales entreprises à un système de quotas pour limiter leurs émissions néfastes au climat. Il n’est pas normal que les concurrents qui importent en Europe les mêmes produits ne soient soumis à aucune obligation. Je ne veux pas refermer ce dossier au prétexte qu’il serait compliqué. Il faut le traiter au niveau communautaire. Il faut, Monsieur le Président [José-Manuel Barroso, président de la Commission européenne], étudier la possibilité de taxer les produits importés de pays qui ne respectent pas le Protocole de Kyoto. Nous avons imposé des normes environnementales à nos producteurs. Il n’est pas normal que leurs concurrents puissent en être totalement exemptés. Eh bien, je vous propose que, dans les six mois, l’Union européenne débatte de ce que signifie une concurrence loyale. Le dumping environnemental, ce n’est pas la loyauté, c’est un problème européen que nous devons poser. »

 

Fin juillet 2010, une commission présidée par le socialiste Michel Rocard remet à Nicolas Sarkozy un rapport sur la taxe carbone, encore appelée « contribution climat-énergie ». Il propose d’augmenter le prix des énergies fossiles proportionnellement aux émissions de gaz à effet de serre qu’elles génèrent. Applaudi par des écologistes comme Daniel Cohn-Bendit ou par des économistes comme Guillaume Duval, rédacteur en chef du journal Alternatives économiques, le système évoqué est censé être socialement juste : un « chèque vert » compenserait l’augmentation du coût de l’énergie pour les ménages modestes. À aucun moment les défenseurs de la taxe n’ont imaginé que l’augmentation du coût de l’énergie se répercuterait sur le prix de tous les biens et services et que cette taxe française constituerait, dans un contexte de libre échange, une incitation supplémentaire à délocaliser.

 

L’hostilité de nombreux citoyens et de plusieurs professions – les agriculteurs et les transporteurs notamment – ainsi que les élections régionales du printemps 2010 viendront à bout de cette fausse promesse. En mars 2010, lors d’une réunion avec les députés de l'UMP, le Premier ministre François Fillon annonce le report sine die de cette mesure, dans l’attente d’un accord européen. Le 25 et 26 mars 2010, lors du Conseil européen, Nicolas Sarkozy estime que « la question d’un mécanisme d’ajustement aux frontières de l’Europe progresse énormément » et annonce qu'une discussion sur le sujet aura lieu en juin de la même année. Pourtant, le communiqué final des Vingt-sept ne mentionne pas ce calendrier et annonce au contraire vouloir « recentrer (son) action après Copenhague » du fait qu’« un accord juridique global à l’échelle mondiale reste le seul moyen efficace de réaliser l’objectif ».

 

En résumé, la patate chaude de la taxe carbone est passée des mains de Nicolas Sarkozy à celles de l’Union européenne, qui finit par la renvoyer à un impossible accord international. Rien d’étonnant, puisqu’une fiscalité écologique dans l’Union européenne nécessiterait l’unanimité des États membres, impossible à trouver.

 

C'est en toute connaissance de cause que la droite libérale a instrumentalisé une demande de protectionnisme grandissante dans l'opinion publique. Acquise aux idées du libre échange et de la libre concurrence, elle fait mine de défendre la régulation et peut se défausser sur « Bruxelles » lorsque cette idée légitime est finalement écartée. Ce qui ne l'empêche pas de voter avec enthousiasme tous les textes de dérégulation présentés par la Commission au Parlement européen.



Pour lire l'intégralité du livre : http://abernier.vefblog.net/30.html#Desobeissons_a_lUnion_europeenne_en_version_actual

 

 

 


Commentaires

 

1. Adam  le 21-05-2014 à 17:04:19

Merci pour ton intervention dans l'émission de Daniel Mermet de ce jour sur france inter.
J'ai bien aimé tes argumentaires. Ils sont miens aussi. Désolé de ne pas t'avoir connu avant. Mais je vais suivre tes travaux dés à présent et te recommander autour de moi.
Bonne route.

 
 
 
posté le lundi 14 avril 2014

L’Europe repeinte en vert des écologistes

 

Extrait de Désobéissons à l'Union européenne ! (2014) -  Chez les écologistes, c’est un européisme béat qui continue d’irriguer les positions politiques officielles, en dépit de fortes divergences. Lors de leur référendum interne de février 2005, les Verts avaient voté à 52 % pour le soutien au Traité constitutionnel et à 42 % contre. Après avoir perdu le scrutin national, ils publient un communiqué qui rappelle que « les Verts s’étaient prononcés majoritairement pour le Oui, car ils voyaient dans cette Constitution un certain nombre d’avancées sur lesquelles s’appuyer pour la construction d’une Europe politique plus fédérale et plus démocratique1. » Ils voient dans la victoire du Non « le fait que le Traité est apparu comme une réponse insuffisante à la marchandisation mondialisée et son corollaire de dégâts environnementaux et sociaux » et « un profond rejet des politiques menées par la droite qui a continué sa politique de casse sociale2. »

 

 

Les rédacteurs de ce communiqué n’ont donc pas lu le Traité constitutionnel, ni les précédents, ni même les directives et règlements européens. S’ils l’avaient fait, ils constateraient que l’ultralibéralisme est inscrit à tous les niveaux de la construction européenne et qu’il n’y aura pas plus d’Europe écologique que d’Europe sociale dans l’actuelle Union.

 

 

D’une manière générale, les Verts (et bien d’autres écologistes) se sont fait prendre au piège d’un grand numéro d’illusionniste sur la question environnementale. Ils croient encore que l’Union européenne a fait avancer la protection de l’environnement en contraignant certains États membres à prendre des mesures de protection des écosystèmes. Mais cette analyse ne tient pas une seconde ! Premièrement, les directives ou les règlements en question ne visaient que des mesures très peu politiques, ne touchant jamais aux intérêts des grandes multinationales. Les textes de référence cités par les écologistes pour expliquer que « l’Europe » va dans le bon sens sont les textes sur la chasse, sur les zones protégées, sur le traitement des animaux... ou bien des déclarations d’intention qui n’aboutissent à aucun réel progrès, comme le « Paquet énergie climat » censé développer les énergies renouvelables, économiser l’énergie et réduire les gaz à effet de serre. Sur toutes les questions stratégiques, comme l’agriculture, l’industrie, le commerce international, l’Union européenne pratique le productivisme, le libre échange et obéit aux lobbies3. Mais, comme le Parti socialiste, les Verts ont sur la construction européenne des réactions irrationnelles et privilégient la construction de l’outil à son usage.

 

 

Avec l’ouverture au centre-droit impulsée par Daniel Cohn-Bendit dans le cadre du rassemblement Europe-Écologie, devenu Europe-Écologie-Les Verts (EELV), cette schizophrénie s’est aggravée. Le programme pour les élections européennes du 7 juin 2009, « Le contrat écologiste pour l’Europe », proclame dès la première page que « la crise économique met dramatiquement en lumière les insuffisances de l’Europe des nations. Chaque État membre de l’Union européenne pare au plus pressé en élaborant des petits plans de relance maison et se privant ainsi de l’impact et de la cohérence d’un investissement massif et coordonné. Nous ne pouvons plus penser franco-français. Que nous ayons voté oui ou non au référendum de 2005, nous avons tous besoin d’une Europe unie, seul espace à la hauteur des défis, seul outil efficace pour mettre en œuvre une stratégie commune de sortie de crise fondée sur la conversion écologique et sociale. »

Le respect de la souveraineté populaire, qui n’existe aujourd’hui qu’au niveau national, consisterait donc à « penser franco-français ». Si l’Union européenne ne parvient pas à sortir de la crise, ce serait à cause de l’égoïsme des nations, et pas de l’ultralibéralisme des traités et des directives. On croit rêver... Le programme propose « une nouvelle directive européenne sur la réduction du temps de travail sans perte de salaire », « une PAC écologique », « l’Union européenne, zone sans OGM », « un moratoire sur toute nouvelle libéralisation », « une clause de non-régression sociale », etc. Autant de bonnes proposition, mais qui font de ce contrat un programme « hors-sol », tout comme il existe une agriculture « hors-sol ». En effet, pour les mettre en pratique, il faudrait renverser la Commission européenne, qui a seule l’initiative des actes législatifs, dénoncer nombre d’accords internationaux, à commencer par ceux de libre échange, ré-écrire du début à la fin le traité, ré-écrire la quasi-totalité des directives et des règlements ou encore mettre fin aux politiques monétaires et budgétaires issues de Maastricht.

 

 

Pourtant, cette relation irrationnelle aux questions européennes s'explique : elle est liée aux fondements mêmes de l'écologie politique, lorsque les premiers penseurs de ce courant croyaient devoir se battre contre l’État et la nation4. Un ouvrage de Catherine Decouan, journaliste écologiste, publié à la veille des premières élections du Parlement européen au suffrage universel, en 1979, illustre parfaitement cette logique. « De toutes les dimensions politiques, la dimension nationale est incontestablement la plus controversée par la pensée écologiste. La nation est en effet la création la plus artificielle qui puisse s'imaginer. C'est un territoire qui a été inventé de toutes pièces par des légistes, borné autoritairement par des frontières et constitué en vue de la guerre. [...] Cette analyse est partagée depuis longtemps par les écologistes et les régionalistes, qui préfèrent voir les États-nations se fédéraliser de l'intérieur et se fédérer à l'extérieur », écrit-elle, ajoutant que « Dans la pratique, les écologistes ignorent les frontières, parce que les problèmes qui les préoccupent les ignorent aussi. »5 Toujours accrochés à cette vision en dépit des ravages de la mondialisation, les écologistes défendent avec ferveur une Europe fédérale. En 2012, ils osaient même affirmer : « L’Europe est notre réponse à la mondialisation »6. Comme le Parti socialiste, ils proposaient leur pacte, baptisé « Pacte écologique et solidaire ». Au moins, le programme écologiste, à la différence du programme socialiste, précisait que ce pacte « remplacera le pacte de stabilité et de croissance et les critères de Maastricht ». Mais bien-sûr, Europe-Écologie-Les Verts ne dit pas par quel phénomène magique cette proposition viendrait à être acceptée par les dirigeants des vingt-huit États membres.

 

 

Compte tenu de l’extrême importance des questions environnementales, il est urgent de désenvoûter les écologistes de gauche pour qu’ils cessent de rêver la construction européenne telle qu’ils l’imaginent et qu’ils la voient enfin telle qu’elle est. Il s’agit d’un enjeu majeur pour construire une grande force de gauche radicale capable de devenir majoritaire, qui ne peut se priver du courant écologiste.

 

 

Pour lire l'intégralité du livre : http://abernier.vefblog.net/30.html#Desobeissons_a_lUnion_europeenne_en_version_actual

 

 

 

1La partie III du projet de traité constitutionnel, qui traite des « politiques et du fonctionnement de l’Union », reprenait, pour les constitutionnaliser, une grande partie des dispositions des traités antérieurs.

2Les Verts, « Après le refus de la ratification du Traité constitutionnel européen », communication du Collège exécutif du 31 mai 2005.

3Aurélien Bernier, « Imposture écologique », in En finir avec l'eurolibéralisme, sous la direction de Bernard Cassen, Mille et une nuits, 2008.

4Aurélien Bernier, Comment la mondialisation a tué l'écologie, Mille et une nuits, 2012.

5Catherine Decouan, La dimension écologique de l'Europe, Éditions Entente, 1979.

6Europe écologie – Les Verts, Vivre mieux. Vers une société écologique., Les petits matins, 2012.

 


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posté le lundi 07 avril 2014

Le choix de « l'Europe » contre le socialisme

 


 

 

Extrait de Désobéissons à l'Union européenne ! (2014) -  Au début des années 1980, le Parti socialiste français au pouvoir s'est trouvé face à un choix crucial : mettre en place des mesures protectionnistes et dévaluer fortement le franc pour résister à la mondialisation, ou bien accepter le libre échange et la politique du franc fort voulus par les grandes puissances capitalistes. En choisissant l'ancrage aux États-Unis et à l'Allemagne de l'Ouest contre le bloc communiste, le Parti socialiste se plia aux exigences ultralibérales. Des arguments fallacieux, comme ceux de la « modernité » économique ou de la « contrainte extérieure », justifièrent l'abandon de ses propres valeurs sociales et l'adoption, à partir de 1982-1983, de politiques de rigueur.

 

L’artisan de ce basculement fut Jacques Delors. Ancien député européen qui présida la commission économique et monétaire entre 1979 et 1981, Jacques Delors devient ministre de l’économie et des finances dans le gouvernement de Pierre Mauroy en mai 1981. Son curriculum vitae lui donne la confiance des milieux d’affaires. Après un passage au Commissariat général au plan, il travaille pendant cinq ans, de 1969 à 1974, comme chargé de mission auprès de Jacques Chaban-Delmas, le Premier ministre du président conservateur Georges Pompidou. Au moment de son adhésion au parti socialiste en 1974, il est membre du Conseil général de la Banque de France. Delors ne déçoit pas le grand patronat, puisqu'en 1983, il convainc le président François Mitterrand d'opérer le tournant de la rigueur, fidèlement épaulé par son directeur adjoint de cabinet, un certain Pascal Lamy, futur commissaire européen au commerce (1999) et futur directeur général de l'Organisation mondiale du commerce (2007). Déjà, à l'époque, l'argument avancé par François Mitterrand pour justifier ce virage était de ne pas isoler la France de la Communauté européenne.

Le président français et le chancelier allemand Helmut Kohl élu en 1982 favorisent l'accession de Jacques Delors, en janvier 1985, à la présidence de la Commission des Communautés européennes, ancêtre de la Commission européenne. Il restera à sa tête près de dix ans. Dès le départ, Delors travaille main dans la main avec le lobby des grandes multinationales et avec des ultra-libéraux. Parmi eux, le Britannique Arthur Cockfield, commissaire au marché intérieur de 1985 à 1989, ancien secrétaire d'État au commerce du Royaume-Uni en 1982 et 1983, qui fut l'un des conseillers les plus influents de Margaret Thatcher.

 

La Table ronde des industriels européens est la structure qui rassemble les principales multinationales implantées sur le continent. Elle fut créée par l’homme d’affaires belge Étienne Davignon, dont les faits d’armes sont impressionnants : président de l’Agence internationale de l’énergie de 1974 à 1977, vice-président de la Commission européenne de 1981 à 1985, membre du groupe de Bilderberg1 depuis 1974, il est impliqué dans l’exploitation minière, le transport maritime et ferroviaire, les activités bancaires, l’automobile... Le projet européen de Jacques Delors reprend les recommandations que la Table ronde des industriels européens avait faites dans une publication intitulée Europe 1990 : un agenda pour l’action. Parmi ces recommandations, la suppression des barrières commerciales et des frontières fiscales figure en toute première place. Notre homme est d’ailleurs transparent sur la question. En 1991, il déclare sur un plateau de télévision : « Lorsque j’ai lancé en 1984-1985 le projet de grand marché, la Table ronde des industriels a soutenu ce projet. Et aujourd’hui, les industriels invitent les gouvernements à aller plus vite encore, et ce n’est pas moi qui leur dirais le contraire2. »

 

Pour prouver sa constance, il fonde en 1996 un groupe de réflexion baptisé « Notre Europe », dans lequel Pascal Lamy, lui aussi membre du Parti socialiste français, hérite de la présidence d’honneur.

 

Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que le Parti socialiste demeure ultra favorable à la construction européenne, même s’il suggère sans succès de la rendre plus « sociale ». Dans l'article 20 de sa cinquième déclaration de principe adoptée en 2008, on peut lire : « Le Parti socialiste est un parti européen. Il agit dans l’Union européenne qu’il a non seulement voulue de longue date, mais contribué à fonder. Il revendique le choix historique de cette construction et la place dans la perspective d’une Europe politique, démocratique, sociale et écologique. Pour les socialistes, celle-ci doit avoir pour mission, par ses politiques communes d’assurer la paix sur le continent et d’y contribuer dans le monde, de favoriser une croissance durable et le progrès social, de conforter le rôle des services publics, de promouvoir la créativité et la diversité culturelle, d’aider à relever les défis planétaires par l’exemple d’association qu’elle offre. Engagé au sein du Parti socialiste européen, le Parti socialiste entend tout mettre en œuvre pour le renforcer dans ses structures afin que soit porté un message socialiste en Europe. »

 

On notera que le Parti socialiste confond deux choses : « l'Europe », d'une part, et l'Union européenne d'autre part. Il veut faire croire que l'Union européenne, c'est à dire la construction européenne que nous connaissons depuis l'après Seconde Guerre mondiale, avec son ordre juridique et monétaire imposé aux États, est la seule voie possible. Dès lors, il n'existerait qu'une solution : la réformer de l'intérieur. C'est pourquoi le parti de François Hollande ne revendique par une « Europe socialiste » par opposition à l'Europe capitaliste, mais limite son ambition à porter « un message socialiste en Europe », comme s'il jetait une bouteille sociale dans une mer ultralibérale.

 

Lors de son Conseil national du 28 février 2009, le Parti socialiste adoptait un « socle pour les élections européennes » prévues au mois de juin de la même année. Ce texte, intitulé « Donner une nouvelle direction à l’Europe », est un florilège de langue de bois, de contre-vérités et de promesses creuses. Comme dans sa déclaration de principe, il fait de la construction européenne la seul garante de paix entre les Nations : « Les socialistes sont des partisans résolus de la construction européenne. Parce qu’elle a garanti la paix, l’État de droit, la démocratie sur notre continent. » Mais il assume également les choix économiques faits depuis le tournant libéral de 1983 : « L’Europe est nécessaire à une grande politique de réformes économiques et sociales. Où en serions-nous si l’Europe n’avait pas, avec Mitterrand, Delors et Kohl donné une issue maîtrisée à la chute du Mur de Berlin dont nous fêtons le vingtième anniversaire ? Où en seraient l’Espagne, le Portugal, la Grèce, l’Irlande et tant de nos vieilles régions industrielles en reconversion si elles n’avaient pas massivement bénéficié des fonds structurels européens ? Où en serions-nous aujourd’hui si nous n’avions pas créé l’euro en 2000 ? Si 27 monnaies nationales s’affrontaient en permanence à coup de "dévaluations compétitives" ? »

 

Pourtant, dans un éclair de lucidité, les dirigeants socialistes relèvent que « les Français traversent, et depuis longtemps, une période de doute vis-à-vis de l’Europe ». Mais heureusement, ils ont démasqué le responsable, qui n'est autre que José-Manuel Barroso, le président de droite de la Commission européenne : « Les avancées significatives, celles réalisées sur le terrain de la citoyenneté européenne, sur les échanges culturels, ne peuvent plus masquer les renoncements opérés sous la présidence Barroso, qui a vu les institutions européennes être gagnées par les idées du libéralisme économique. » Une telle réécriture de l'histoire rappelle tout bonnement les pires heures de l'Union soviétique. Car si la construction européenne a bien été « gagnée par les idées du libéralisme économique », c'est sous la présidence du socialiste Jacques Delors, qui a mis en place l'Acte unique et le traité de Maastricht, c'est à dire la colonne vertébrale de l'ordre juridique et monétaire européen !

 

Accablant la droite majoritaire au Parlement européen, les socialistes veulent « relancer et réorienter l’Union européenne dans le sens d’une Europe volontaire, sociale, écologique, démocratique et mieux intégrée. » Pour ce faire, ils ne proposent pas de supprimer les directives ultralibérales ou de mettre fin au traité de Lisbonne, mais de mettre en œuvre une politique de grands travaux, évidemment teintée de « croissance verte ». Alors que les délocalisations se démultiplient et jettent des familles entières dans la précarité, nous ne saurons rien de politiques commerciales du Parti socialiste, car « Le débat n’est pas tant de savoir si nous serions des partisans ou des adversaires du protectionnisme mais bien de déterminer quels intérêts nous souhaitons protéger. À l’opposé de la droite et des libéraux qui favorisent la finance et la rente, nous souhaitons favoriser la production, l’investissement et un nouveau partage des richesses plus favorable au travail. » C'est pourquoi ils proposent un énième « Pacte européen du Progrès social » dont la force juridique n'est pas précisée, mais dont on suppose à la lecture du texte qu'il ne sera que cosmétique en l'absence de mesures de désobéissance européenne.

 

Le discours servi par les socialistes depuis le milieu des années 1980 n'a finalement jamais changé. Il faudrait en passer par l'Union européenne ultralibérale pour, un jour peut-être, trouver le Graal de l'Europe sociale. Le problème est que plus personne ne croit, fort heureusement, à ce genre de balivernes qui sont chaque jour contredites par la réalité des politiques communautaires.

 

Pour lire l'intégralité du livre : http://abernier.vefblog.net/30.html#Desobeissons_a_lUnion_europeenne_en_version_actual

 

 

1Rassemblement informel d’environ 130 membres, essentiellement américains et européens, dont la plupart sont des personnalités de la diplomatie, des affaires, de la politique et des médias. Les « conférences Bilderberg » sont un forum d’échange sur les principaux sujets d’actualité auquel participent les personnalités les plus influentes de l’économie mondiale.

 

2Fakir n°40, dossier spécial « Construction européenne ».

 


Commentaires

 

1. H Marteau  le 09-04-2014 à 23:11:14

Ce livre démontre qu'une réorientation de la politique européenne diamétralement opposée au néolibéralisme est impossible car elle serait contraire à l'ordre juridique et monétaire européen inscrit dans les Traités.
La désobéissance et la rupture à l'ordre juridique et monétaire européen s'impose à la Gauche radicale si elle veut reconquérir l'électorat populaire qui se réfugie pour partie dans l'abstention et devenu sensible pour partie aux sirènes du FN.

 
 
 
posté le lundi 07 avril 2014

Sortir de l'euro ne fera pas tout

 

Article paru sur Marianne, 28 février 2014 - La remise en cause de la monnaie unique a récemment fait irruption dans la presse, notamment dans les pages du Monde diplomatique et de Marianne. Il faut dire que le nombre et la qualité des intellectuels qui prônent aujourd'hui la sortie de l'euro (Jacques Sapir, Emmanuel Todd ou Frédéric Lordon) et la part croissante des Français qui soutiennent cette idée (environ un tiers) rend le sujet difficilement contournable. L'union monétaire commence à être vue pour ce qu'elle est depuis le départ : le moyen de retirer aux États un outil déterminant en matière de politiques économiques pour prévenir toute opposition à l'ultralibéralisme forcené de l'Union européenne. 


 
Cette bonne nouvelle ne doit pas faire oublier que sortir de l'euro est une condition nécessaire au changement d'orientation politique, mais certainement pas suffisante. L'autorité de l'Union européenne sur les États repose sur son ordre monétaire, mais aussi et surtout sur son ordre juridique. En finir avec la monnaie unique sans rompre avec le droit communautaire ne nous fera jamais sortir du libre échange, de la libre concurrence et de la dérégulation.


 
Le 4 février 2014, le sénateur socialiste Alain Fauconnier déposait un projet de loi visant à interdire la culture de maïs transgénique sur le territoire français. Au cours de l'examen du texte, le sénateur UMP Jean Bizet lui opposait une exception d'irrecevabilité. La motion qu'il soumettait au vote indiquait : « L’article 88-1 de la Constitution reconnaît le principe de la primauté du droit européen sur la loi française. Or, le droit européen ne permet pas aux États de prendre une mesure d’interdiction générale de la mise en culture de variétés de maïs génétiquement modifié sur le territoire national. » Par 171 voix contre 169, l'exception d'irrecevabilité était retenue.


 
Imaginons maintenant qu'un gouvernement veuille renforcer les services publics, mettre en place un protectionnisme écologique et social, contrôler les mouvements de capitaux pour financer de véritables politiques de gauche... Tous les projets de loi qu'il déposerait subiraient, au final, le même sort que la proposition visant à interdire les OGM. Si, à l'inverse des sénateurs actuels, les élus du peuple passaient outre la hiérarchie juridique et votaient malgré tout ces mesures, elles seraient stoppées nettes par le Conseil constitutionnel ou le Conseil d’État.


 
Cette soumission des États à l'ordre juridique européen découle d'un long processus. Le 5 février 1963, la Cour de justice des Communautés européennes statue sur un litige entre un transporteur et l’administration néerlandaise : le transporteur reproche aux Pays-Bas d’avoir maintenu des droits de douane alors que l’article 12 du traité de Rome les interdit. La Cour estime alors que l’article du traité a un effet direct, c’est-à-dire qu’un État ne peut s’opposer à son application.


 
Au début des années 1990, en France, le Conseil d’État va plus loin et juge que la loi nationale ne peut pas être contraire aux règlements et directives de Bruxelles, qui se multiplient depuis l'Acte unique de 1986. Il ne reste alors qu'un obstacle à la primauté absolue du droit communautaire sur le droit français : la Constitution. Avec l'adoption du traité de Maastricht, en 1992, celle-ci est modifiée : un titre sur l'Union européenne est ajouté et « les modalités prévues par le Traité sur l'Union européenne » (le libre échange, la libre concurrence...) sont constitutionnalisées. En 2008, une autre modification est votée pour intégrer les nouvelles « avancées » libérales du traité de Lisbonne.


 
Cette primauté du droit communautaire pose un problème encore plus épineux que celui de l'euro. Pour espérer appliquer la moindre mesure réellement sociale, il faut au préalable modifier la Constitution française pour restaurer la primauté du droit national. C'est ce que j'ai appelé, dans un livre paru en 2011, la désobéissance européenne. Cette désobéissance ne peut être partielle. On ne peut désobéir à telle ou telle directive, à tel ou tel règlement, ou à quelques articles seulement du traité européen : il faut inverser la hiérarchie des normes en restaurant, une fois pour toutes, la souveraineté nationale et populaire. 
 


Or, aucun parti politique, aucun média, n'ose encore aborder ce sujet. Centrés sur la question monétaire, les économistes délaissent souvent la question juridique. Pourtant, sans cette sortie de l'ordre juridique européen, il n'y a pas d'alternative possible à l'ultralibéralisme. Voilà un tabou qui mériterait lui aussi d'être brisé. 

 


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posté le jeudi 03 avril 2014

Désobéissons à l'Union européenne ! en version actualisée et gratuite

 

 

 

 

Au printemps 2011, je publiais chez Mille et une nuits un petit livre, Désobéissons à l'Union européenne !, qui connut un certain succès malgré un silence complet des grands médias.

 

A la veille des élections européenne du 25 mai 2014, voici une version actualisée de ce livre, qui tient compte des événements récents : les élections françaises de 2012, les suites de la crise européenne, l'évolution (ou la non-évolution) des partis politiques sur le sujet européen...

 

J'ai choisi de mettre en ligne cette version gratuitement, afin qu'elle soit largement accessible.

 

N'hésitez donc pas à partager ce lien.


Pour lire sur écran ou télécharger le pdf imprimable : http://fr.calameo.com/read/003058998215334297f3d


Pour télécharger le livre électronique (epub) :

http://www.youscribe.com/catalogue/livres/actualite-et-debat-de-societe/politique/desobeissons-a-l-union-europeenne-2425374


Et pour ceux qui aiment le papier, les reliures, les librairies... et la désobéissance européenne, mon dernier ouvrage, La gauche radicale et ses tabous, est toujours dans les rayons.



Présentation


L’Union européenne (UE) est une forteresse ultralibérale. Une forteresse qui, alors qu’elle est secouée par les crises financières, refuse obstinément de changer de cap. Le piège de la construction européenne s’est refermé sur les peuples, priés d’accepter cet eurolibéralisme à marche forcée. Désormais, ils savent que l’Europe les a désarmés et ne les protège pas.


Devant le mécontentement grandissant des citoyens, certains partis appellent à réformer l’Europe « de l’intérieur », sans jamais dire comment y parvenir. Rien de surprenant, puisque les institutions ont été verrouillées. Tout au plus des gouvernements retardent-ils la transcription de directives, quitte à se faire tirer l’oreille, mais ils finissent toujours par être contraints de se plier aux exigences du droit communautaire.


Pour rompre avec cette Europe du libre échange intégral, il faut assumer une autre position : celle de la désobéissance européenne. Mettre en place des politiques sociales et environnementales passera par la restauration de la primauté réelle du droit national sur le droit européen et par la sortie de la monnaie unique, l'euro. Ce livre ouvre le débat interdit : des États courageux, à commencer par la France, doivent provoquer une crise institutionnelle salutaire en désobéissant à l’UE.


 


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