Extrait de Désobéissons à l'Union européenne ! (2014) - Dès qu'il s'agit des questions européennes, l'Union pour un mouvement populaire (UMP) de l'ancien président Nicolas Sarkozy partage avec le Parti socialiste le goût du ridicule. Dans la « charte des valeurs » du parti, on peut lire : « L'Europe est notre quotidien et notre avenir. Après des siècles d'affrontements meurtriers où l'Europe a failli perdre son âme et grâce à l'œuvre des pères fondateurs de la communauté européenne, nos démocraties ont décidé de se rassembler et de s'interdire les rapports de haine et de guerre. » Pour ceux qui ne verraient pas le lien évident entre la paix et l'ultralibéralisme à l'européenne, l'UMP avertit: « la paix n'est pas un acquis définitif, c'est le fruit d'une volonté commune qu'il faut poursuivre ». Et c'est sans doute la raison pour laquelle il faudrait accepter sans broncher le libre échange, la libre concurrence et le monétarisme de l'euro. Comme chez les écologistes, l'Union européenne est une « réponse à la mondialisation », mais une réponse libérale : « Au-delà de la nécessité de renforcer l'intégration économique et la coordination budgétaire, nous sommes attachés à une Europe forte qui relèvera plus efficacement les défis d'un monde où la concurrence entre les pays est de plus en plus rude. L'Union européenne nous permet, ensemble, de développer des chantiers qui ne sont plus à la portée d'un seul pays dans le nouveau contexte de la mondialisation. »
Le fait de parer la construction européenne de toutes les vertus n'empêche pas la droite libérale de pratiquer un double discours à son sujet, pour de basses raisons de stratégie politique. Ainsi, lorsqu'il était président de la République, Nicolas Sarkozy s'est livré plusieurs fois à un numéro d'acteur au sujet de la régulation du commerce, réclamant un « protectionnisme européen » qu'il sait parfaitement impossible. Ce fut notamment le cas en 2010, avec la création d'une éphémère « taxe carbone ».
En novembre 2006, le présentateur de télévision Nicolas Hulot lançait une démarche baptisée « Pacte écologique » dont la vocation était de peser dans la campagne de l’élection présidentielle de 2007. Parmi les mesures qu’il soumettait aux candidats figurait la mise en place d’une taxe carbone, calculée sur les émissions de gaz à effet de serre produites par la combustion d’énergies fossiles et liées à la fabrication et au transport des biens de consommation. Comme la plupart des candidats, Nicolas Sarkozy signait le Pacte écologique. Sitôt élu, en mai 2007, il lance le Grenelle de l’environnement qui rassemble des représentants de la société civile et de l’État pour mettre en place un plan d’action en matière d’écologie. L’instauration d’une taxe carbone est annoncée : « Je m’engage à ce que la révision générale des prélèvements obligatoires se penche sur la création d’une taxe "climat-énergie" en contrepartie d’un allègement de la taxation du travail. » Parallèlement, le président de la République pose le problème au niveau européen : « Il n’est pas normal qu’un produit qui traverse le monde coûte moins cher qu’un produit local parce que le prix de son transport et de sa production n’intègre pas ses émissions de gaz à effet de serre. J’ai posé cette question à l’Union européenne. Nous avons été les premiers à soumettre nos principales entreprises à un système de quotas pour limiter leurs émissions néfastes au climat. Il n’est pas normal que les concurrents qui importent en Europe les mêmes produits ne soient soumis à aucune obligation. Je ne veux pas refermer ce dossier au prétexte qu’il serait compliqué. Il faut le traiter au niveau communautaire. Il faut, Monsieur le Président [José-Manuel Barroso, président de la Commission européenne], étudier la possibilité de taxer les produits importés de pays qui ne respectent pas le Protocole de Kyoto. Nous avons imposé des normes environnementales à nos producteurs. Il n’est pas normal que leurs concurrents puissent en être totalement exemptés. Eh bien, je vous propose que, dans les six mois, l’Union européenne débatte de ce que signifie une concurrence loyale. Le dumping environnemental, ce n’est pas la loyauté, c’est un problème européen que nous devons poser. »
Fin juillet 2010, une commission présidée par le socialiste Michel Rocard remet à Nicolas Sarkozy un rapport sur la taxe carbone, encore appelée « contribution climat-énergie ». Il propose d’augmenter le prix des énergies fossiles proportionnellement aux émissions de gaz à effet de serre qu’elles génèrent. Applaudi par des écologistes comme Daniel Cohn-Bendit ou par des économistes comme Guillaume Duval, rédacteur en chef du journal Alternatives économiques, le système évoqué est censé être socialement juste : un « chèque vert » compenserait l’augmentation du coût de l’énergie pour les ménages modestes. À aucun moment les défenseurs de la taxe n’ont imaginé que l’augmentation du coût de l’énergie se répercuterait sur le prix de tous les biens et services et que cette taxe française constituerait, dans un contexte de libre échange, une incitation supplémentaire à délocaliser.
L’hostilité de nombreux citoyens et de plusieurs professions – les agriculteurs et les transporteurs notamment – ainsi que les élections régionales du printemps 2010 viendront à bout de cette fausse promesse. En mars 2010, lors d’une réunion avec les députés de l'UMP, le Premier ministre François Fillon annonce le report sine die de cette mesure, dans l’attente d’un accord européen. Le 25 et 26 mars 2010, lors du Conseil européen, Nicolas Sarkozy estime que « la question d’un mécanisme d’ajustement aux frontières de l’Europe progresse énormément » et annonce qu'une discussion sur le sujet aura lieu en juin de la même année. Pourtant, le communiqué final des Vingt-sept ne mentionne pas ce calendrier et annonce au contraire vouloir « recentrer (son) action après Copenhague » du fait qu’« un accord juridique global à l’échelle mondiale reste le seul moyen efficace de réaliser l’objectif ».
En résumé, la patate chaude de la taxe carbone est passée des mains de Nicolas Sarkozy à celles de l’Union européenne, qui finit par la renvoyer à un impossible accord international. Rien d’étonnant, puisqu’une fiscalité écologique dans l’Union européenne nécessiterait l’unanimité des États membres, impossible à trouver.
C'est en toute connaissance de cause que la droite libérale a instrumentalisé une demande de protectionnisme grandissante dans l'opinion publique. Acquise aux idées du libre échange et de la libre concurrence, elle fait mine de défendre la régulation et peut se défausser sur « Bruxelles » lorsque cette idée légitime est finalement écartée. Ce qui ne l'empêche pas de voter avec enthousiasme tous les textes de dérégulation présentés par la Commission au Parlement européen.
Pour lire l'intégralité du livre : http://abernier.vefblog.net/30.html#Desobeissons_a_lUnion_europeenne_en_version_actual
Commentaires
Merci pour ton intervention dans l'émission de Daniel Mermet de ce jour sur france inter.
J'ai bien aimé tes argumentaires. Ils sont miens aussi. Désolé de ne pas t'avoir connu avant. Mais je vais suivre tes travaux dés à présent et te recommander autour de moi.
Bonne route.