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Titre du blog : Démondialiser et coopérer
Auteur : abernier
Date de création : 28-11-2007
 
posté le 07-04-2014 à 11:03:59

Le choix de « l'Europe » contre le socialisme

 


 

 

Extrait de Désobéissons à l'Union européenne ! (2014) -  Au début des années 1980, le Parti socialiste français au pouvoir s'est trouvé face à un choix crucial : mettre en place des mesures protectionnistes et dévaluer fortement le franc pour résister à la mondialisation, ou bien accepter le libre échange et la politique du franc fort voulus par les grandes puissances capitalistes. En choisissant l'ancrage aux États-Unis et à l'Allemagne de l'Ouest contre le bloc communiste, le Parti socialiste se plia aux exigences ultralibérales. Des arguments fallacieux, comme ceux de la « modernité » économique ou de la « contrainte extérieure », justifièrent l'abandon de ses propres valeurs sociales et l'adoption, à partir de 1982-1983, de politiques de rigueur.

 

L’artisan de ce basculement fut Jacques Delors. Ancien député européen qui présida la commission économique et monétaire entre 1979 et 1981, Jacques Delors devient ministre de l’économie et des finances dans le gouvernement de Pierre Mauroy en mai 1981. Son curriculum vitae lui donne la confiance des milieux d’affaires. Après un passage au Commissariat général au plan, il travaille pendant cinq ans, de 1969 à 1974, comme chargé de mission auprès de Jacques Chaban-Delmas, le Premier ministre du président conservateur Georges Pompidou. Au moment de son adhésion au parti socialiste en 1974, il est membre du Conseil général de la Banque de France. Delors ne déçoit pas le grand patronat, puisqu'en 1983, il convainc le président François Mitterrand d'opérer le tournant de la rigueur, fidèlement épaulé par son directeur adjoint de cabinet, un certain Pascal Lamy, futur commissaire européen au commerce (1999) et futur directeur général de l'Organisation mondiale du commerce (2007). Déjà, à l'époque, l'argument avancé par François Mitterrand pour justifier ce virage était de ne pas isoler la France de la Communauté européenne.

Le président français et le chancelier allemand Helmut Kohl élu en 1982 favorisent l'accession de Jacques Delors, en janvier 1985, à la présidence de la Commission des Communautés européennes, ancêtre de la Commission européenne. Il restera à sa tête près de dix ans. Dès le départ, Delors travaille main dans la main avec le lobby des grandes multinationales et avec des ultra-libéraux. Parmi eux, le Britannique Arthur Cockfield, commissaire au marché intérieur de 1985 à 1989, ancien secrétaire d'État au commerce du Royaume-Uni en 1982 et 1983, qui fut l'un des conseillers les plus influents de Margaret Thatcher.

 

La Table ronde des industriels européens est la structure qui rassemble les principales multinationales implantées sur le continent. Elle fut créée par l’homme d’affaires belge Étienne Davignon, dont les faits d’armes sont impressionnants : président de l’Agence internationale de l’énergie de 1974 à 1977, vice-président de la Commission européenne de 1981 à 1985, membre du groupe de Bilderberg1 depuis 1974, il est impliqué dans l’exploitation minière, le transport maritime et ferroviaire, les activités bancaires, l’automobile... Le projet européen de Jacques Delors reprend les recommandations que la Table ronde des industriels européens avait faites dans une publication intitulée Europe 1990 : un agenda pour l’action. Parmi ces recommandations, la suppression des barrières commerciales et des frontières fiscales figure en toute première place. Notre homme est d’ailleurs transparent sur la question. En 1991, il déclare sur un plateau de télévision : « Lorsque j’ai lancé en 1984-1985 le projet de grand marché, la Table ronde des industriels a soutenu ce projet. Et aujourd’hui, les industriels invitent les gouvernements à aller plus vite encore, et ce n’est pas moi qui leur dirais le contraire2. »

 

Pour prouver sa constance, il fonde en 1996 un groupe de réflexion baptisé « Notre Europe », dans lequel Pascal Lamy, lui aussi membre du Parti socialiste français, hérite de la présidence d’honneur.

 

Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que le Parti socialiste demeure ultra favorable à la construction européenne, même s’il suggère sans succès de la rendre plus « sociale ». Dans l'article 20 de sa cinquième déclaration de principe adoptée en 2008, on peut lire : « Le Parti socialiste est un parti européen. Il agit dans l’Union européenne qu’il a non seulement voulue de longue date, mais contribué à fonder. Il revendique le choix historique de cette construction et la place dans la perspective d’une Europe politique, démocratique, sociale et écologique. Pour les socialistes, celle-ci doit avoir pour mission, par ses politiques communes d’assurer la paix sur le continent et d’y contribuer dans le monde, de favoriser une croissance durable et le progrès social, de conforter le rôle des services publics, de promouvoir la créativité et la diversité culturelle, d’aider à relever les défis planétaires par l’exemple d’association qu’elle offre. Engagé au sein du Parti socialiste européen, le Parti socialiste entend tout mettre en œuvre pour le renforcer dans ses structures afin que soit porté un message socialiste en Europe. »

 

On notera que le Parti socialiste confond deux choses : « l'Europe », d'une part, et l'Union européenne d'autre part. Il veut faire croire que l'Union européenne, c'est à dire la construction européenne que nous connaissons depuis l'après Seconde Guerre mondiale, avec son ordre juridique et monétaire imposé aux États, est la seule voie possible. Dès lors, il n'existerait qu'une solution : la réformer de l'intérieur. C'est pourquoi le parti de François Hollande ne revendique par une « Europe socialiste » par opposition à l'Europe capitaliste, mais limite son ambition à porter « un message socialiste en Europe », comme s'il jetait une bouteille sociale dans une mer ultralibérale.

 

Lors de son Conseil national du 28 février 2009, le Parti socialiste adoptait un « socle pour les élections européennes » prévues au mois de juin de la même année. Ce texte, intitulé « Donner une nouvelle direction à l’Europe », est un florilège de langue de bois, de contre-vérités et de promesses creuses. Comme dans sa déclaration de principe, il fait de la construction européenne la seul garante de paix entre les Nations : « Les socialistes sont des partisans résolus de la construction européenne. Parce qu’elle a garanti la paix, l’État de droit, la démocratie sur notre continent. » Mais il assume également les choix économiques faits depuis le tournant libéral de 1983 : « L’Europe est nécessaire à une grande politique de réformes économiques et sociales. Où en serions-nous si l’Europe n’avait pas, avec Mitterrand, Delors et Kohl donné une issue maîtrisée à la chute du Mur de Berlin dont nous fêtons le vingtième anniversaire ? Où en seraient l’Espagne, le Portugal, la Grèce, l’Irlande et tant de nos vieilles régions industrielles en reconversion si elles n’avaient pas massivement bénéficié des fonds structurels européens ? Où en serions-nous aujourd’hui si nous n’avions pas créé l’euro en 2000 ? Si 27 monnaies nationales s’affrontaient en permanence à coup de "dévaluations compétitives" ? »

 

Pourtant, dans un éclair de lucidité, les dirigeants socialistes relèvent que « les Français traversent, et depuis longtemps, une période de doute vis-à-vis de l’Europe ». Mais heureusement, ils ont démasqué le responsable, qui n'est autre que José-Manuel Barroso, le président de droite de la Commission européenne : « Les avancées significatives, celles réalisées sur le terrain de la citoyenneté européenne, sur les échanges culturels, ne peuvent plus masquer les renoncements opérés sous la présidence Barroso, qui a vu les institutions européennes être gagnées par les idées du libéralisme économique. » Une telle réécriture de l'histoire rappelle tout bonnement les pires heures de l'Union soviétique. Car si la construction européenne a bien été « gagnée par les idées du libéralisme économique », c'est sous la présidence du socialiste Jacques Delors, qui a mis en place l'Acte unique et le traité de Maastricht, c'est à dire la colonne vertébrale de l'ordre juridique et monétaire européen !

 

Accablant la droite majoritaire au Parlement européen, les socialistes veulent « relancer et réorienter l’Union européenne dans le sens d’une Europe volontaire, sociale, écologique, démocratique et mieux intégrée. » Pour ce faire, ils ne proposent pas de supprimer les directives ultralibérales ou de mettre fin au traité de Lisbonne, mais de mettre en œuvre une politique de grands travaux, évidemment teintée de « croissance verte ». Alors que les délocalisations se démultiplient et jettent des familles entières dans la précarité, nous ne saurons rien de politiques commerciales du Parti socialiste, car « Le débat n’est pas tant de savoir si nous serions des partisans ou des adversaires du protectionnisme mais bien de déterminer quels intérêts nous souhaitons protéger. À l’opposé de la droite et des libéraux qui favorisent la finance et la rente, nous souhaitons favoriser la production, l’investissement et un nouveau partage des richesses plus favorable au travail. » C'est pourquoi ils proposent un énième « Pacte européen du Progrès social » dont la force juridique n'est pas précisée, mais dont on suppose à la lecture du texte qu'il ne sera que cosmétique en l'absence de mesures de désobéissance européenne.

 

Le discours servi par les socialistes depuis le milieu des années 1980 n'a finalement jamais changé. Il faudrait en passer par l'Union européenne ultralibérale pour, un jour peut-être, trouver le Graal de l'Europe sociale. Le problème est que plus personne ne croit, fort heureusement, à ce genre de balivernes qui sont chaque jour contredites par la réalité des politiques communautaires.

 

Pour lire l'intégralité du livre : http://abernier.vefblog.net/30.html#Desobeissons_a_lUnion_europeenne_en_version_actual

 

 

1Rassemblement informel d’environ 130 membres, essentiellement américains et européens, dont la plupart sont des personnalités de la diplomatie, des affaires, de la politique et des médias. Les « conférences Bilderberg » sont un forum d’échange sur les principaux sujets d’actualité auquel participent les personnalités les plus influentes de l’économie mondiale.

 

2Fakir n°40, dossier spécial « Construction européenne ».

 

Commentaires

H Marteau le 09-04-2014 à 23:11:14
Ce livre démontre qu'une réorientation de la politique européenne diamétralement opposée au néolibéralisme est impossible car elle serait contraire à l'ordre juridique et monétaire européen inscrit dans les Traités.

La désobéissance et la rupture à l'ordre juridique et monétaire européen s'impose à la Gauche radicale si elle veut reconquérir l'électorat populaire qui se réfugie pour partie dans l'abstention et devenu sensible pour partie aux sirènes du FN.