Du 1er au 9 août 2009, à Notre-Dame-des-Landes (44), la « Semaine de résistance » visait à mobiliser les organisations militantes et les citoyens contre un projet local de nouvel aéroport, et plus largement, à débattre des politiques de lutte contre le changement climatique. A cette occasion, un débat politique intitulé « Comment les politiques prennent en compte l’écologie » a été organisé le 7 août. Il a rassemblé 500 personnes. Les intervenants étaient Yannick Jadot et François Dufour (Europe Ecologie), Jean-François Pélissier (Alternatifs), Corinne Morel-Darleux (Parti de Gauche), Aurélien Bernier (M’PEP), Vincent Liegey (Europe Décroissance), Christine Poupin (NPA), et Bernard Frot (Mouvement écologiste indépendant).
Dans son avant-dernier livre, Comment les riches détruisent la planète (Seuil), Hervé Kempf s’en prend à juste titre aux « écologistes benêts ». Qu’ils soient militants associatifs ou politiques, les écologistes benêts sont ceux qui ne voient le monde qu’à travers la crise écologique en oubliant la crise sociale. Ceux qui défendent une écologie qui ne serait « ni de droite ni de gauche ». Ceux qui prétendent sauver les écosystèmes sans mettre fin au capitalisme.
Depuis la parution de ce livre en 2007, les écologistes benêt n’ont pas disparu, bien au contraire. Les choses se sont même aggravées. A présent, certains vont jusqu’à assumer sans le moindre complexe un capitalisme vert qui nous promet des éoliennes et des centrales photovoltaïques par milliers, mais sans la moindre remise en cause de l’ordre économique mondial qui tente même d’y puiser une seconde jeunesse.
Face à cette offensive extrêmement dangereuse, nous ne devons pas être nous aussi des militants politiques ou des altermondialistes benêts. Pour cela, il faut bien-sûr promouvoir une écologie clairement antilibérale, mais surtout, il faut aller au fond des choses. Ce qui n’est actuellement pas le cas. Nous avons travaillé pour imaginer le monde idéal que nous aimerions construite. Mais le mouvement altermondialiste ne dit jamais comment sortir concrètement et rapidement du néolibéralisme. Pour illustrer cette forme d’autocensure, prenons trois exemples.
Premièrement, l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Dix ans après le contre-sommet de Seattle, le mouvement altermondialiste n’a toujours pas de discours clair au sujet de cette institution. Nous entendons parler de réformer l’OMC, de limiter ses pouvoirs. Nous entendons dire qu’il faut « sortir l’agriculture des compétences de l’OMC ». Mais que faut-il comprendre ? Qu’il faut y laisser les services et l’industrie ? Qu’il faut laisser l’OMC empêcher toute mesure ambitieuse de protection de l’environnement au nom de la libre-concurrence ? Soyons clairs. L’OMC est un rassemblement de fanatiques ultralibéraux. Elle n’est pas réformable, et il faut tout simplement en sortir.
Deuxième exemple : le protectionnisme. Depuis des années, nous observons et dénonçons les ravages que produit la mondialisation néolibérale sur le plan social et sur le terrain de l’écologie. Le libre-échange, qui met en concurrence les pays à bas coûts de main d’œuvre et les pays développés et qui produit de façon inévitable un alignement vers le pire, est le véritable cœur de cette mondialisation néolibérale. Il faut donc en finir, et le seul moyen d’y parvenir rapidement est d’instaurer un protectionnisme écologique et social sur des bases universalistes. Taxer aux frontières les productions qui polluent et qui ne respectent pas un certain nombre de critères sociaux ne signifie pas se replier sur notre petit territoire national, mais vise au contraire à jeter les bases d’un commerce réellement équitable à l’échelle de la planète.
Enfin, le dernier exemple constitue le principal tabou des mouvements sociaux, et il s’agit bien évidemment de la question européenne. Si un gouvernement de gauche ‒ la vraie gauche antilibérale, cela va de soi ‒ arrivait au pouvoir en France, la quasi-totalité de ses propositions se heurterait aux traités, aux directives et aux règlements européens. Nous le savons tous. Interdire les OGM, développer les services publics, mettre en place une fiscalité de justice sociale... Tout cela est interdit par le droit communautaire. Nous savons pertinemment qu’une fois au pouvoir, nous devrions pratiquer la désobéissance européenne et construire du droit national qui, parce qu’il serait socialement juste et soucieux de l’écologie, serait contraire au droit européen. Nous le savons tous, mais seul le M’PEP ose le dire et le revendiquer. Pourquoi ? Ce silence est incompréhensible, alors même que l’abstention atteint des sommets, que l’altermondialisme s’essouffle et que le fatalisme n’a jamais été aussi présent.
L’enjeu de cette clarification, qui concerne tous les militants de la gauche et de l’écologie politique, est énorme. Nous ne pouvons plus l’éviter, sauf à nous contenter de luttes de résistance (contre un projet d’aéroport, contre une fermeture d’hôpital, contre une parcelle d’OGM...) sans jamais passer à la contre-offensive. Or, nous devons reprendre la main. C’est en étant cohérents et crédibles que nous redonnerons aux citoyens l’espoir de changer le cours des choses et, qu’au final, nous gagnerons.
Voir aussi
L'intervention en live et en vidéo :
Et quelques photos : (merci à Jean-Charles)
Le visuel de la mobilisation
Les stands des organisations politiques
Le débat sur l'écologie politique
Corinne Morel-Darleux du PG et Yannick Jadot d'Europe écologie
Vincent Liegeay, d'Europe décroissance
et moi
Dans un article publié sur Contre-feux, Matthieu Courtecuisse souhaite que les grands groupes intègrent pleinement la contrainte des émissions de gaz à effet de serre pour participer à la lutte contre le changement climatique. Sur ce point, on ne peut qu'être d'accord avec lui. Malheureusement, ses postulats et ses notions posent de nombreux problèmes.
Je me risquerai à résumer en une phrase l'esprit du texte : les entreprises, lourdement mises à contribution par la réglementation sur les émissions de gaz à effet de serre, devraient tendre vers la neutralité carbone, ce qui permettrait aux consommateurs d'arbitrer leurs achats en fonction de cette variable.
Pour commencer, l'auteur ne définit pas ce qu'est la "neutralité carbone", ce qui est bien dommage
Des produits utilisent déjà cet affichage, à l'image d'un chocolat commercialisé par Alter-éco. "Je ne suis pas un chocolat comme les autres, je suis parfait !" indique le slogan publicitaire sur le site Internet. Pourquoi ? Car l'entreprise compense les émissions de gaz à effet de serre liées à la production du chocolat. Le principe de la compensation est simple. Le fabriquant émet un volume X de gaz à effet de serre pour produire une plaquette du parfait chocolat. Il paie en contrepartie la plantation d'une forêt qui captera un volume X de CO2. Petite ombre au tableau, rarement avouée : le volume X est émis par l'industriel dans un délai très court; la forêt, elle, mettra une bonne centaine d'années pour arriver à « neutraliser » autant de CO2. Si elle n'est pas détruite d'ici là, bien évidemment. Dès lors, tout le monde aura compris qu'il n'y a jamais eu et qu'il n'y aura jamais de neutralité. Les émissions réelles iront toujours bien plus vite que la croissance des arbres. Et si toutes les entreprises compensaient, on ne saurait même plus où mettre les nouvelles forêts !
Deuxièmement, l'arbitrage par le consommateur en fonction du bilan écologique des produits est loin d'être gagné
Il suffit d'observer les très faibles parts de marché des produits écolabellisés, biologiques ou "durables" pour constater qu'ils ne s'adressent qu'aux classes relativement aisées. A supposer qu'une norme fiable soit mise en place pour les déterminer, les étiquettes carbone ne changeront strictement rien à l'affaire : les hauts revenus pourront s'attarder sur cette question, mais les pauvres continueront d'acheter au moins cher. Et je veux bien parier toutes mes économies qu'il existera des entreprises pour leur vendre des produits "sales", mais bon marché.
Car Mathieu Courtecuisse fait preuve d'un grand pessimisme en affirmant que des contraintes "toujours plus fortes" pèsent sur les entreprises
Ces dernières ne semblent pas si inquiètes, et elles auraient bien tort de l'être. Rappelons que les grands groupes ont obtenu, grâce à un intense lobbying, le rejet de la taxe carbone et la mise en place d'un marché de droits à polluer qui ne leur coûte rien, et qui peut même, avec un brin de jugeote, rapporter quelques profits en Bourse. La totalité de la "contrainte carbone" pèse sur les producteurs d'électricité qui peuvent en répercuter le coût sur une clientèle captive et ne se gênent pas pour le faire. Les industries soumises à la concurrence internationale – c'est à dire toutes les autres ou presque ! – obtiennent quant à elles autant de quotas carbone qu'elles le souhaitent à grand renfort de chantage aux délocalisations. Arcelor-Mittal l'a fait en France comme en Belgique. De suffisants, les volumes de quotas sont devenus excédentaires, et la vente des surplus sur le marché du carbone rapportera 1,2 milliard d'euros au groupe !
La vérité est que les politiques menées en matière de lutte contre le changement climatique sont dramatiquement inefficaces car totalement compatibles avec le libre-échange. Nous en voyons les résultats. La désindustrialisation s'accélère dans les pays du Nord. Les grandes multinationales vont produire là où les coûts de main d'oeuvre sont bas et où les réglementations environnementales sont inexistantes. Entre 1997 – date de finalisation du protocole de Kyoto – et 2007, les émissions mondiales de gaz à effet de serre ont augmenté, selon les estimations, de 25 à 35%.
Les comités carbone sont peut-être nécessaires, mais une question bien plus politique et plus urgente doit être posée
Soit nous poursuivons dans le libre-échange, et l'alignement par le bas continuera en matière de social comme en matière d'écologie. Soit nous mettons en place un protectionnisme social et environnemental qui permettra de faire payer le prix de leurs choix aux entreprises qui délocalisent. Ce débat devrait être au centre des négociations sur le changement climatique. Il devrait apparaître dans toutes les revendications écologistes et syndicales, dans tous les projets politiques. Malheureusement, il ne figure nulle part ou presque. C'est ce que l'on peut appeler un tabou libéral.
Aurélien Bernier a publié en 2008 Le climat, otage de la finance (Editions Mille-et-une-Nuits)
Ecoutez l'émission de Daniel Mermet et Renaud Lambert consacrée au film Home, dans laquelle j'interviens sur les compensations, la monnaie carbone et l'écologie antisociale : http://www.la-bas.org/article.php3?id_article=1719
C’était beau, c’était très très beau, au début. Il y avait la nature, l’innocence, et puis, et puis, l’homme est arrivé et il a tout gâché.
1. laurent delmal le 30-08-2009 à 15:56:08
Bonjour M. Bernier,
Je vous remercie de vos analyses que je trouve très pertinentes. J'ai découvert celles-ci par le biais de l'émission radiophonique "Des sous et des hommes" de Pascale Fourier.
Je voudrais connaître votre position concernant l'actuel projet de taxe carbone du gouvernement de Nicolas Sarkozy. A l'instar des quotas individuels de GES, une telle taxe ne pénalisera-t-elle pas financièrement les ménages qui ont le moins de marges de manoeuvre pour modifier leurs comportements ?
Interview parue dans l'Humanité dimanche du 28 mai au 3 juin 2009. «Le verdissement du capitalisme n'est que du discours», explique Aurélien Bernier, spécialiste des questions environnementales. S'appuyant sur l'exemple des «droits à polluer», il démontre comment le capitalisme s'est emparé de ces questions pour en faire un nouvel objet de spéculation.
HD. Est-ce que le marché des « droits à polluer » a permis de protéger l'environnement puisque c'était son but affiché?
Aurélien Bernier. Absolument pas. En Europe, par exemple, le lobbying des entreprises a entraîné une surdistribution de quotas. Conséquence, le cours de la tonne de carbone s'est effondré de 30 euros à moins de 1 euro. Ensuite, ce marché ne couvre pas tous les pays de la planète. Ni la Chine, ni l'Inde, ni le Brésil ne participent à cette Bourse au carbone. Donc, même si les quotas étaient rares donc chers, les entreprises peuvent continuer à implanter les industries polluantes dans ces pays à bas coûts de main d'œuvre. En réalité, ce système favorise les délocalisations et la désindustrialisation des pays occidentaux au nom de la protection de l'environnement. Cette solution du marché du carbone est la solution qu'ont trouvée les libéraux pour mettre en place de pseudo-mesures de protection de l'environnement sans ne rien toucher aux logiques libérales. Le résultat chiffré est clair : entre 1997 et 2007, les émissions mondiales de gaz à effet de serre ont augmenté de 35 %. Le protocole de Kyoto avait fixé un objectif de réduction de 5% d'ici à 2012.
C'est en particulier en Chine et en Inde que ces émissions explosent. Parce que leurs marchés se développent mais surtout en raison des délocalisations des industries polluantes produisant des biens qui sont ensuite exportés dans les pays occidentaux. Le transport rajoutant encore à la pollution. Au total, cela représente 20 % des émissions de gaz à effet de serre.
HD. On pourrait objecter que c'est parce que ce marché n'est pas assez développé, pas assez mondialisé que cela ne marche pas.
A. B. Si les pays émergents comme la Chine ou l'Inde refusent toute contrainte environnementale ou sociale, c'est parce que dans le cadre du marché néolibéral, ils considèrent que ce sont des avantages comparatifs par rapport aux pays occidentaux. Étendre le marché du carbone ne sert pas à grand-chose car les contraintes dans ce cadre sont légères puisqu'elles dépendent des quotas. En réalité, cela ne servirait qu'à étendre un marché spéculatif du droit à polluer. Ils sont en train de reproduire quasiment à l'identique le système du marché du crédit immobilier qui nous a précipités dans la crise. Titrisation de produits à risques, création de produits financiers dérivés, tous les ingrédients sont là pour une prochaine crise, dont le déclencheur serait le marché du carbone. Un marché spéculatif est incontrôlable, instable, imprévisible, on ne peut pas réfléchir sur du long terme.
HD. Donc, pour vous, l'expression capitalisme vert n'a pas de sens ?
A. B. Cette expression a du sens: elle prouve que ce système capitaliste tente de tout récupérer, de tout intégrer à sa logique du profit. Le verdissement du capitalisme n'est
que du discours qui n'a pas de sens dans les actes. La solution pour régler le problème
des gaz à effet de serre serait de remettre en question le système du libre-échange. Notamment en mettant en place une taxe qui permette de réintroduire dans le prix des échanges les coûts sociaux et environnementaux.
C'est le moyen de casser cette spirale des délocalisations. Il faut sortir du système du libre-échange et créer un système d'échanges équitables dans lesquels les coûts sociaux
et environnementaux sont intégrés. Ce marché des droits à polluer prouve qu'il faut répondre à la problématique environnementale en même temps qu'à la problématique sociale car les deux ont la même cause : le capitalisme. Malheureusement, le discours d'une majorité des organisations écologistes se limite à de l'environnementaliste et renvoie à une simple responsabilité individuelle sans aborder les questions de la responsabilité du capitalisme.
entretien réalisé par st. S.
(1) « Le climat, otage de la finance - ou comment le marché boursicote avec les "droits à polluer ». Éditions Mille et Une Nuits. 2008. Dernier ouvrage paru.- « Non au capitalisme vert », ouvrage collectif. Éditions Parangon. Aurélien Bernier est responsable national du Mouvement politique d'éducation populaire (M'PEP). Il a travaillé pendant dix ans pour l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME).
A l'image du fameux personnage de fiction, l'Union européenne possède deux visage, deux personnalités diamétralement opposées. L'une, celle de tribunes, des déclarations officielles, des sommets internationaux, semble plus verte que Nicolas Hulot et Al Gore réunis. Elle vante une croissance respectueuse des écosystèmes, veut produire des énergies propres, et presse les Etats de la planète de réduire sans attendre leurs émissions de gaz à effet de serre. Mais, lorsqu'il s'agit d'adopter de véritables orientations politiques, Mister Hyde s'éveille et prend possession des dirigeants bruxellois. Les belles formules se transforment alors en libéralisme débridé, qui n'admet l'écologie qu'à la condition qu'elle soit source de profits et qu'elle ne vienne jamais remettre en cause l'ordre économique mondial.
Longtemps, des écologistes ont soutenu que la construction européenne avait permis de mieux protéger l'environnement, en tirant vers le haut les pays les plus laxistes. Ce qui est une énorme erreur d'analyse, pour ne pas dire un contre-sens. L'action de l'Union en matière d'écologie est tout à fait perverse. Elle peut se décomposer en trois catégories. D'une part, les mesures symboliques, écolo-éducatives, directement issues de la logique « développement durable » : souvent culpabilisante pour le citoyen, épargnant volontairement les entreprises, ou renvoyant le consommateur à la lecture des étiquettes au dos des produits. Nous pouvons y ranger les innombrables manifestations « grand public » (journée sans ma voiture, semaine ou quinzaine du développement durable, journées du soleil...) ou encore les éco-labels sur les produits de consommation.
Dans une deuxième catégorie, figurent des législations qui pouvaient sembler prometteuses au départ, mais qui furent consciencieusement rabotées par les lobbies. L'un des exemples les plus éclairants reste le règlement REACH, qui a vu les industriels de la chimie corriger la copie de l'Union européenne sans que cette dernière n'y trouve à redire. Ainsi, malgré les revendications des associations, certaines substances cancérigènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction n'ont pas été interdites par REACH au motif discutable que les industriels n'auraient pas eu de solution immédiate pour les remplacer. Alors que le Parlement européen proposait de rendre obligatoire le remplacement des produits chimiques dangereux par des alternatives plus saines à chaque fois qu'il était possible de le faire, cette disposition essentielle est supprimée fin 2005 par le Conseil. Le texte adopté sera tout à fait inoffensif pour les grandes entreprises, qui ont pourtant l'audace de réclamer de l'argent aux pouvoirs publics pour le mettre en application1.
Enfin, la dernière catégorie comprendrait les « bonnes » mesures que l'Union impose aux Etats, comme la directive dite « nitrate » ou les objectifs de production d'énergies renouvelables figurant dans le plan énergie-climat (20% de la consommation d'ici 2020). De bonnes décisions dans l'absolu, mais totalement hypocrites dans la pratique. Il est en effet facile d'imposer des obligations de résultats aux Etats membres en plaçant le curseur à tel ou tel niveau. Mais il est tout à fait scandaleux de mener dans le même temps des politiques qui vont dans le sens exactement inverse. Ainsi, l'Union européenne établit des niveaux de qualité des eaux à respecter par chaque pays, mais utilise la quasi-totalité des ressources de la Politique agricole commune pour développer une agriculture intensive qui détruit les écosystèmes et ruine les paysans. Elle veut réduire les émissions de gaz à effet de serre, mais organise le démantèlement des services publics de l'énergie pour offrir la production et la distribution à des sociétés privés obnubilées par la recherche de rendement financier. Elle confie aux Etats le soin de garantir la coexistence des différents systèmes agricoles, mais elle autorise sans hésiter chaque variété de plante transgénique qui fait l'objet d'une demande de commercialisation.
La vérité est que la construction européenne qui nous est imposée est un désastre pour l'environnement. A l'image des entreprises, l'Europe a placé le terme « développement durable » à toutes les pages de ses textes officiels, mais elle persévère bel et bien dans le libre-échange, la concurrence économique acharnée et la destruction des acquis sociaux. Les deux directives qui encadrent la commande publique en Europe font bien-sûr référence au développement durable. Mais, quelques lignes plus loin, elles imposent de se soumettre à la libre-concurrence et de conserver le prix comme principal critère de choix. Ainsi, une collectivité pourra s'approvisionner en produits biologiques pour la restauration, mais il est hors de question qu'elle puisse privilégier les circuits courts qui génèrent pourtant nettement moins de pollution. Des aliments biologiques produits industriellement et transportés en camion sur des milliers de kilomètres resteront en concurrence « libre et non faussée » avec des productions locales de qualité. Avec un levier économique énorme ― les marchés publics représentent environ 15% du PIB européen ― l'occasion était pourtant belle de provoquer un changement radical d'un point de vue écologique, mais aussi social. Malheureusement, les directives sont on ne peut plus claires : les actions en faveur du développement durable ne seront acceptées que dans le cadre étroit de la non-discrimination commerciale.
Seuls les grands naïfs peuvent encore croire que les choses s'amélioreront avec le temps. Car les dernières oeuvres de Bruxelles en la matière laissent sans voix : adoption en 2001 d'une directive autorisant la dissémination des plantes transgéniques contre l'avis d'environ 80% des citoyens ; mise en place dès 2005 d'un marché de droits à polluer permettant de spéculer sur le cours de la tonne de gaz à effet de serre ; révision récente du règlement de l'agriculture biologique pour tolérer la présence de 0,9% d'organismes génétiquement modifiés ; alignement des limites maximales pour les résidus de pesticides dans les fruits et légumes sur les dispositions des Etats les plus laxistes ; choix de développer les agro-carburants ou le captage-stockage du dioxyde de carbone... La liste est longue.
Mais le masque de l'Union est peut-être définitivement tombé avec la crise financière. L'Allemagne, pays « vert » par excellence dans l'imaginaire collectif, fut le premier à avouer qu'il préférait sauver la compétitivité de ses entreprises plutôt que réduire son empreinte écologique. Dès fin septembre 2008, Angela Merkel annonçait qu'elle ne cautionnerait pas « la destruction d’emplois allemands du fait d’une politique inappropriée sur le climat ». Immédiatement suivie par l'Italie et les pays de l'Est, elle a obtenu sans peine un plan énergie-climat sans la moindre contrainte pour l'économie.
Cette situation pose un problème politique majeur. Puisque chaque texte qui sort d'un Parlement national, chaque décret ou arrêté se doit absolument d'être euro-compatible, la conclusion est limpide. Un véritable gouvernement de gauche arrivant au pouvoir dans un Etat membre n'aura d'autre solution que de pratiquer la désobéissance européenne pour mettre en oeuvre ses engagements. Il faudra dénoncer la directive 2001/18 et le règlement 1829/2003 pour interdire les OGM dans les champs et dans l'alimentation. Il faudra dénoncer la directive 2003/87 instaurant le système de Bourse du carbone pour démanteler le marché des droits à polluer et mener des politique de lutte contre le changement climatique sérieuses. Il faudra refuser d'abonder le budget de la Politique agricole commune tant que celle-ci financera une agriculture intensive détruisant la paysannerie et les écosystèmes. Il faudra dénoncer les deux directives sur les marchés publics afin d'imposer la prise en compte de critères sociaux et environnementaux au lieu de se soumettre à la libre-concurrence, plus que jamais synonyme de dumping.
En matière d'environnement comme en matière de social, il faudra oser dire « non », au quotidien, chaque fois qu'une mesure progressiste se heurtera aux tables de loi de l'euro-libéralisme. Une fois ces actes de désobéissance accomplis, il restera à poser une question encore malheureusement taboue. Si cette Europe-là a vocation à empêcher toute mesure de gauche, pourquoi rester dans l'Union? Ne serons-nous pas condamnés à quitter cette construction politique déplorable à tous points de vue pour créer l'Europe que nous voulons?
Michèle DESSENNE (1) et Aurélien BERNIER (2).
Article paru dans le numéro 11 de Sarkophage (mai 2009)
Porte-parole du M'PEP (www.m-pep.org)
Secrétaire national du M'PEP en charge des questions environnementales, auteur du livre « Le climat, otage de la finance », 2008, éd. Mille-et-une-nuits, co-auteur du livre « En finir avec l'euro-libéralisme », 2008, éd. Mille-et-une-nuits.
1« Reach: l’industrie chimique demande un soutien financier », Journal de l'environnement, 11/02/2009. http://www.journaldelenvironnement.net
Commentaires
1. Ignatius le 14-08-2009 à 17:16:09 (site)
Bonjour
1- Merci de reprendre ton texte sur ton blog car sur le site du M’PEP, pas de possibilité de placer un commentaire.
2- Très bien de ne pas être un "écologiste benêt" ; mais encore faudrait-il être un "écologiste". Car sinon, cela donne à entendre que tous les écologistes seraient des "benêts".
- Ecrire qu’il est nécessaire d’être "écologiste" ne signifie pas que c’est suffisant : évidemment !
- Je reçois une lettre de diffusion du M’PEP (merci à celui qui m’a abonné ;=) ; la dernière m’informait d’une Lettre du M’PEP au Front de Gauche. Je n’y ai trouvé qu’une seule occurrence de "écolo" : pour évoquer "Europe-Ecologie". Dois-je alors déduire de cette absence que pour le M’PEP tous les écologistes sont des "benêts" ?
3- J’en viens aux 3 exemples "concrets" donnés dans ton intervention : OMC, protectionnisme et Europe.
- Le type même d’exemples "abstraits" ; au sens où "abstraire", c’est séparer les choses, les "extraire".
- Car en réalité, ta critique est "abstraite" car, quoi qu’elle en dise, elle ne va pas "au fond des choses".
- Le "fond des choses", c’est la question du pouvoir. Plus exactement, sa concentration aux mains des élites (finance, politique, média, industrie). "Et si l'on remonte à la source de cette concentration, on trouve l'instauration du SYSTEME de l'économie de marché - avec l'économie de croissance qui en est résultée - et l'introduction parallèle de la "démocratie" représentative" (Fotopoulos, Démocratie générale, p.15).
- Faire de la conquête du pouvoir un préalable du changement de la société, c’est répéter les mêmes erreurs historiques du "socialisme réel" et de la "social-démocratie". Après les "déçus de la gauche", les futurs "déçus de l’Autre gauche" ?
- Peut-on faire autrement ? Peut-on changer la société sans prise préalable de pouvoir (de l’Etat, dans les régions, etc.) ?
- Vendredi dernier, lors du débat, il m’a semblé que les Objecteurs de Croissance proposaient une "véritable stratégie de transformation", c’est-à-dire une critique cohérente et anti-systémique du capitalisme, en combinant les expériences des alternatives concrètes et des contre-pouvoirs dans les luttes sociales avec un projet de société, sans dédaigner la visibilité électorale : bref, de quoi commencer sans attendre non pas une "contre-offensive » mais une sortie définitive du capitalisme.
http://nanorezo.free.fr/spip.php?article82
Merci d’avoir lu jusqu’au bout.
Michel Lepesant
édité le 14-08-2009 à 17:24:06
2. abernier le 27-08-2009 à 16:51:23 (site)
Bonjour,
Merci pour cette contribution. J'avais déjà lu avec intérêt vos écrits sur le site des objecteurs de croissance.
Quelques éléments de réponse rapides en attendant d'autres textes :
- le M'PEP a sur son site de nombreux documents qui traitent de la question écologique. L'un de nos premiers colloques, le 6 décembre 2008, portait sur ce thème, et Paul Ariès y avait fait une intervention brillante. Je vous invite à consulter les enregistrements : http://www.m-pep.org/spip.php?rubrique99
- les trois points que je développe sont très concrets au contraire. Nous sommes bien d'accord que le capitalisme néolibéral et la concentration des pouvoirs sont au coeur de notre critique. Mais pour atteindre ce système, il faut bien passer par des actions politiques concrètes, comme la sortie de l'OMC ou la désobéissance européenne.
- nous avons un vrai désaccord sur l'utilité de l'engagement politique. Il ne s'agit pas d'obtenir une "visibilité", mais de prendre le pouvoir à l'oligarchie.
Ne reproduisons pas les erreurs de la gauche, mais ne reproduisons pas non plus celles de l'écologie politique, qui a renoncé à changer la société pour changer "la vie", à une échelle individuelle, familiale ou communautariste.
Sans prise de pouvoir, les multinationales continueront à dicter leurs lois.
Bien cordialement,
Aurélien Bernier
3. Ignatius le 30-08-2009 à 16:15:17 (site)
Bonjour
je ne crois pas que ce soit un vrai désaccord sur l'utilité de l'engagement politique : car cela pourrait faire croire qu'il s'agit là de divergences d'opinions personnelles (d'autant que je crois que l'un comme l'autre, en acceptant de s'engager dans de petites formations politiques, nous montrons un vrai intérêt désintéressé pour la politique).
Mais, d'une certaine façon, c'est pire encore car nous touchons à ce qui est un noeud tragique que rencontrent tous ceux qui veulent sortir du capitalisme : la question du pouvoir.
Je ne crois pas qu'il faille présenter cela comme un désaccord (ce qui laisserait supposer soit que l'un des 2 a raison et l'autre tort, soit qu'une synthèse serait possible) mais comme le dilemme fondamental dont nous tenons chacun l'un des bouts.
Car, quand tu écris que "Sans prise de pouvoir, les multinationales continueront à dicter leurs lois" : tu as raison de fustiger un angélisme qui laisserait croire que les forteresses vont tomber toutes seules.
Mais, de l'autre côté, et de façon tout aussi vraie, ai-je tort de penser que "dès que la logique du pouvoir est adoptée, la lutte contre le pouvoir est perdue" et dans ce cas, le naïf n'est-il pas celui qui croit qu'il pourra prendre le pouvoir sans se faire prendre par lui ?
Une fois que l'on a compris et accepté nos deux "bouts du dilemme", et si, comme moi, on a cessé de croire à la réconciliation dialectique finale, il reste non pas un "antagonisme" mais un "agonisme (selon la distinction de Chantal Mouffe : http://altergauche26.ouvaton.org/articles.php?id=145&id_rubrique=231).
De quoi alors comprendre que, non pas malgré nos désaccords, mais grâce à notre agonisme, nous pouvons nous demander "Comment riposter ensemble ?"
(http://nanorezo.free.fr/spip.php?article90).
Merci d'avoir lu.
Bien amicalement.
Michel lepesant