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Titre du blog : Démondialiser et coopérer
Auteur : abernier
Date de création : 28-11-2007
 
posté le 15-07-2009 à 23:10:55

La "neutralité carbone" en tête de gondole

Dans un article publié sur Contre-feux, Matthieu Courtecuisse souhaite que les grands groupes intègrent pleinement la contrainte des émissions de gaz à effet de serre pour participer à la lutte contre le changement climatique. Sur ce point, on ne peut qu'être d'accord avec lui. Malheureusement, ses postulats et ses notions posent de nombreux problèmes.

 

Je me risquerai à résumer en une phrase l'esprit du texte : les entreprises, lourdement mises à contribution par la réglementation sur les émissions de gaz à effet de serre, devraient tendre vers la neutralité carbone, ce qui permettrait aux consommateurs d'arbitrer leurs achats en fonction de cette variable.

 

Pour commencer, l'auteur ne définit pas ce qu'est la "neutralité carbone", ce qui est bien dommage

 

Il n'y a jamais eu et il n'y aura jamais de "neutralité carbone"

Des produits utilisent déjà cet affichage, à l'image d'un chocolat commercialisé par Alter-éco. "Je ne suis pas un chocolat comme les autres, je suis parfait !" indique le slogan publicitaire sur le site Internet. Pourquoi ? Car l'entreprise compense les émissions de gaz à effet de serre liées à la production du chocolat. Le principe de la compensation est simple. Le fabriquant émet un volume X de gaz à effet de serre pour produire une plaquette du parfait chocolat. Il paie en contrepartie la plantation d'une forêt qui captera un volume X de CO2. Petite ombre au tableau, rarement avouée : le volume X est émis par l'industriel dans un délai très court; la forêt, elle, mettra une bonne centaine d'années pour arriver à « neutraliser » autant de CO2. Si elle n'est pas détruite d'ici là, bien évidemment. Dès lors, tout le monde aura compris qu'il n'y a jamais eu et qu'il n'y aura jamais de neutralité. Les émissions réelles iront toujours bien plus vite que la croissance des arbres. Et si toutes les entreprises compensaient, on ne saurait même plus où mettre les nouvelles forêts !

 

Deuxièmement, l'arbitrage par le consommateur en fonction du bilan écologique des produits est loin d'être gagné

 

Il suffit d'observer les très faibles parts de marché des produits écolabellisés, biologiques ou  "durables" pour constater qu'ils ne s'adressent qu'aux classes relativement aisées. A supposer qu'une norme fiable soit mise en place pour les déterminer, les étiquettes carbone ne changeront strictement rien à l'affaire : les hauts revenus pourront s'attarder sur cette question, mais les pauvres continueront d'acheter au moins cher. Et je veux bien parier toutes mes économies qu'il existera des entreprises pour leur vendre des produits "sales", mais bon marché.

 

Car Mathieu Courtecuisse fait preuve d'un grand pessimisme en affirmant que des contraintes "toujours plus fortes" pèsent sur les entreprises

 

Les grands groupes ont déjà obtenu le rejet de la taxe carbone et la création d'un marché de droits à polluer qui ne leur coûte rien

Ces dernières ne semblent pas si inquiètes, et elles auraient bien tort de l'être. Rappelons que les grands groupes ont obtenu, grâce à un intense lobbying, le rejet de la taxe carbone et la mise en place d'un marché de droits à polluer qui ne leur coûte rien, et qui peut même, avec un brin de jugeote, rapporter quelques profits en Bourse. La totalité de la "contrainte carbone" pèse sur les producteurs d'électricité qui peuvent en répercuter le coût sur une clientèle captive et ne se gênent pas pour le faire. Les industries soumises à la concurrence internationale – c'est à dire toutes les autres ou presque ! – obtiennent quant à elles autant de quotas carbone qu'elles le souhaitent à grand renfort de chantage aux délocalisations. Arcelor-Mittal l'a fait en France comme en Belgique. De suffisants, les volumes de quotas sont devenus excédentaires, et la vente des surplus sur le marché du carbone rapportera 1,2 milliard d'euros au groupe !

 

La vérité est que les politiques menées en matière de lutte contre le changement climatique sont dramatiquement inefficaces car totalement compatibles avec le libre-échange. Nous en voyons les résultats. La désindustrialisation s'accélère dans les pays du Nord. Les grandes multinationales vont produire là où les coûts de main d'oeuvre sont bas et où les réglementations environnementales sont inexistantes. Entre 1997 – date de finalisation du protocole de Kyoto – et 2007, les émissions mondiales de gaz à effet de serre ont augmenté, selon les estimations, de 25 à 35%.

 


Les comités carbone sont peut-être nécessaires, mais une question bien plus politique et plus urgente doit être posée

 

Soit nous poursuivons dans le libre-échange, et l'alignement par le bas continuera en matière de social comme en matière d'écologie. Soit nous mettons en place un protectionnisme social et environnemental qui permettra de faire payer le prix de leurs choix aux entreprises qui délocalisent. Ce débat devrait être au centre des négociations sur le changement climatique. Il devrait apparaître dans toutes les revendications écologistes et syndicales, dans tous les projets politiques. Malheureusement, il ne figure nulle part ou presque. C'est ce que l'on peut appeler un tabou libéral.

 

 

 

Aurélien Bernier a publié en 2008 Le climat, otage de la finance (Editions Mille-et-une-Nuits)