Démondialiser et coopérer

Blog d'Aurélien BERNIER

posté le lundi 25 mai 2009

Dissoudre la Gauche ou prôner la désobéissance européenne

Interview réalisée par Pascale Fourier, à écouter sur le site "J'ai du louper un épisode" :

 

http://j-ai-du-louper-un-episode.hautetfort.com/archive/2009/05/25/aurelien-bernier-dissoudre-la-gauche-ou-proner-la-desobeissa.html

 

 

 


 

 

 

 

 

 

 

 

Depuis quelque temps, le M'PEP, le Mouvement Politique d'Éducation Populaire développe un nouveau concept, la « la désobéissance européenne ». Qu'est-ce?...


La désobéissance européenne, une nécessité


Aurélien Bernier : Ce concept de désobéissance européenne, il faut d'abord le resituer par rapport à une analyse sur la construction européenne. Au M'PEP, on dit clairement que la construction européenne est faite pour empêcher toute politique de gauche. On le voit bien au quotidien avec les directives sur les services publics, sur le temps de travail, les directives sur les OGM:on a un carcan libéral qui a enfermé les Etats et qui aujourd'hui les empêche de mener une autre politique que l'ultra- libéralisme, « l'eurolibéralisme » comme on peut dire pour qualifier ce libéralisme à l'européenne. Et donc si on veut mettre en œuvre une véritable politique de gauche, il va falloir s'affranchir du cadre législatif européen et donc pratiquer ce qu'on a appelé la « désobéissance européenne ».


Désobéissance européenne et désobéissance civile


Pourquoi la désobéissance européenne? Pourquoi ce terme ? Parce qu'il renvoie, bien sûr, à la notion de désobéissance civile, qui elle-même renvoie à des personnages comme Gandhi, comme Martin Luther King, qui renvoie plus récemment à une toute autre échelle aux gens qui s'opposent aux OGM et qui transgressent la loi, puisqu'il va falloir transgresser la loi, les lois européennes, pour mettre en œuvre une politique de gauche.


Il y a des points communs avec la désobéissance civile et il y a des points de divergence. Je crois que le point commun, c'est de faire bouger les lignes, et de faire bouger les lignes dans le cadre d'un débat public. On ne peut plus supporter ce libéralisme qui s'impose aux Etats, y compris à des Etats qui voudraient mener des politiques de gauche. Il faut le dire, il faut dire pourquoi on est prêt à désobéir. En même temps, il y a une légitimité profonde puisque la notion d'obéissance suppose accepter des ordres, accepter d'aller dans une direction, mais accepter en connaissance de cause parce qu'on sait que ça va dans le bon sens. On sait que ça profite à l'intérêt général. Et obéir, c'est totalement différent de se soumettre. Parce qu'à partir du moment où les ordres, le mouvement qu'on doit suivre ne va plus dans le sens de l'intérêt général, on n'est plus dans l'obéissance, on est dans la soumission.


Mais la principale différence avec la désobéissance civile, c'est que la désobéissance civile met en cause la force contraignante de la loi, alors que la désobéissance européenne remettrait en cause la hiérarchie des lois : il s'agit de refuser que le droit européen s'impose et impose des politiques libérales aux Etats. Mais bien sûr on reste dans un système républicain où la loi nationale conserve toute sa valeur !



Pascale Fourier : Tout à l'heure, vous disiez que la construction européenne était faite pour empêcher toute politique de gauche. On pourrait vous dire : « Mais non, il suffit juste d'attendre que tous les pays européens ou une majorité de pays européens soient gouvernés par des gouvernements de gauche, et à ce moment-là il n'y a plus besoin de désobéissance européenne... Par nature, on arrivera à une construction sociale chère aux socialistes par exemple ! » . Non ?


L'urgente nécessité d'agir...


Aurélien Bernier : Ca, dans l'absolu, on peut toujours imaginer que ce soit possible... On peut rêver une Europe qui soit complètement différente... On peut rêver de gouvernements qui soient tous de gauche et qui soient tous d'une vraie gauche, pas de la social-démocratie qui s'accommode très bien du système... Mais le fait est que ce n'est pas le cas. Et qu'on ne peut que constater que, depuis des années, des décennies, on construit une Europe de plus en plus libérale, avec des directives de privatisations, avec la directive Bolkenstein, avec des directives qui mettent en place le marché du carbone qui empêchent toute fiscalité écologique. Voilà véritablement le sens de la marche.


Et donc la question, c'est de savoir jusqu'à quand on peut tolérer ça. Est-on prêt effectivement à attendre que nos rêves se réalisent, parce qu'on rêve tous évidemment d'une Europe solidaire et démocratique où les peuples pourraient s'exprimer et où la politique européenne serait représentative du souhait des peuples ! Mais s'il faut attendre 20, 30, 50 ou 100 ans que cette situation-là se présente, entre-temps, on aura continué à détruire le social, à détruire l'environnement, à détruire les solidarités. Je crois qu'aujourd'hui on ne peut plus attendre, et la crise dans laquelle on est entré a encore renforcé ce sentiment. Les choses s'aggravent à une vitesse incroyable ! Le dernier scandale en date est quand même le refus de l'Union Européenne d'entendre l'expression démocratique des peuples, le peuple français quand il a voté Non, le peuple néerlandais, et maintenant le peuple irlandais. Et on voit bien qu'on est dans une machine infernale qui va vers toujours plus de libéralisme et qui s'affranchit totalement de la souveraineté populaire.


Faire une politique de Gauche est incompatible avec les textes européens.


Donc il faut agir et on est dans une situation qui peut se résumer assez simplement: on a une gauche de gauche dans un certain nombre de pays qui fait des propositions tout à fait intéressantes; mais si on prend ces propositions et qu'on les pointe une par une et qu'on regarde si elles sont compatibles ou non avec le droit européen, eh bien il y en a peut-être, allez 5 % qui au final seront compatibles avec le droit européen, c'est-à-dire que sur un programme progressiste 95 % des décisions ne pourraient pas être appliquées parce que l'Union Européenne empêcherait l'ensemble de ces propositions. Donc à partir de là, pour une gauche de gauche, aujourd'hui, qu'il y a deux solutions:soit elle continue à décrire un monde idéal dans lequel on rêve tous de vivre et qui verra peut-être le jour dans quelques des décennies -ou peut-être pas; soit elle dit que, pour mettre en œuvre son programme politique, il faudra pratiquer la désobéissance européenne et qu'elle est prête à la pratiquer.


Je crois que la volonté du M'PEP, c'est vraiment de mettre ce débat sur la table parce que c'est le débat central. C'est pour cela que la gauche est complètement prisonnière... Elle est complètement dans l'échec aujourd'hui parce qu'elle refuse de poser ce débat sur la table. Et une fois qu'on l'aura posé, on verra bien quels sont les partis qui acceptent l'idée de la désobéissance européenne et ceux qui ne l'acceptent pas. Et là on pourra trier, et là on pourra savoir pour qui voter.



Pascale Fourier : Et concrètement cette désobéissance européenne pourrait prendre quelle forme ?


Aurélien Bernier : Concrètement, il y a plusieurs niveaux :une désobéissance européenne défensive et une désobéissance européenne offensive.


Désobéissance défensive... et offensive


La désobéissance européenne défensive, ce serait de faire de la résistance, de refuser la transcription en droit national des directives libérales. Quand on dit « les directives libérales », ça en fait beaucoup... Il y a donc déjà de quoi faire... Ce sont les directives de libéralisation, la dérégulation du marché de l'énergie par exemple, la directive Bolkenstein, la directive sur les OGM, celle qui instaure le marché des droits à polluer... Enfin il y a largement de quoi faire !


Mais ce n'est pas suffisant parce que là on est simplement dans la résistance. Il faut également une désobéissance européenne offensive, c'est-à-dire une désobéissance qui permette de reconquérir du terrain, de reconquérir ce qu'on a perdu à travers quelques décennies de libéralisme effréné; donc c'est reconstruire des services publics, des services publics qui ont été privatisés, libéralisés; c'est créer de nouveaux services publics pour répondre à de nouveaux besoins; c'est par exemple faire une loi nationale qui interdise définitivement la culture d'OGM et pas simplement utiliser une tolérance que permet la directive européenne pour momentanément éviter qu'on ait des OGM pendant un an ou deux, mais vraiment faire une loi d'interdiction comme le veut la majorité des citoyens. Voilà, c'est vraiment reprendre la main et pouvoir mettre en œuvre des politiques de gauche et construire. On n'est pas simplement dans la résistance, on est dans la construction.


Et bien sûr ça veut dire qu'on serait attaqué par l'Union Européenne qui ne pourrait évidemment pas supporter qu'on crée du droit qui soit contraire au droit européen. Et qui dit désobéissance européenne, dit bien sûr refuser de payer des astreintes, puisqu'on serait condamné à des restreintes, et évidemment il s'agirait de refuser de les payer.


Le dernier exemple qu'on peut donner est un exemple qui concerne la politique agricole par exemple où l'Union Européenne fait la promotion d'une agriculture intensive qui utilise des quantités phénoménales de produits chimiques qui polluent, une agriculture qui produit des aliments de mauvaise qualité, qui détruit la paysannerie... Il est évident qu'il serait hors de question d'abonder le budget de la politique agricole commune pour mener ce genre de politique. Donc la dernière façon de désobéir, ce serait de ne plus donner d'argent pour pratiquer ces politiques libérales et donc d'utiliser ces moyens financiers autrement. Par exemple au niveau agricole en développant une agriculture respectueuse de l'environnement, une agriculture paysanne, en réorientant la production pour aller vers plus d'autonomie, et puis en développant aussi des coopérations avec d'autres Etats puisque, bien sûr, l'idée ce n'est pas de se replier sur des frontières nationales: ce n'est pas parce qu'on s'affranchit du cadre de cette Union Européenne -qui est une construction européenne parmi d'autres qui auraient été possibles... On ne va pas se replier ! Il faut créer de nouvelles alliances, et donc on pourrait comme ça développer de nouvelles alliances, développer des partenariats agricoles par exemple avec d'autres pays qui seraient sur la même ligne, et d'ailleurs qu'ils soient dans l'Union Européenne actuelle ou non.


Libre-échange...


C'est la même chose en matière de fiscalité où aujourd'hui il est clairement exclu de prendre des mesures protectionnistes dans le cadre de l'Union Européenne. On voit très bien à quoi conduit le libre-échange. Nous avons à affronter une désindustrialisation qui est absolument catastrophique. Les grandes multinationales vont s'implanter dans des pays à bas coûts de main-d'œuvre où on a quasiment aucune protection environnementale.. Elles vont donc polluer loin, mais vont polluer autant qu'elles veulent... On voit bien les conséquences sur l'emploi, les conséquences sociales, dans les pays industrialisés. Et ce libre-échange mène également à une perte de contrôle démocratique sur la production. Parce que, bien sûr, une usine qui est implantée en Chine, on ne peut pas la contrôler démocratiquement, on ne peut pas influencer les choix de production, on ne peut pas influencer les méthodes de production. Et donc il faut casser cette spirale libre-échangiste.


Et le seul moyen, c'est de mettre en place une nouvelle forme de protectionnisme, qui soit un protectionnisme écologique et social, c'est-à-dire qu'on taxe les importations sur la base de critères environnementaux et sociaux. Ca, c'est un exemple, peut être un des meilleurs exemples, du besoin de pratiquer la désobéissance européenne. Parce qu'un tel protectionnisme ne verra jamais le jour au niveau de l'Union Européenne: il faudrait d'abord que les 27 Etats soient d'accord et puis en plus que la Commission européenne en ait envie.... Donc il faudra le pratiquer à une autre échelle, et si un État voulait mettre en place ce type de mesure, il lui faudrait faire de la désobéissance européenne.



Pascale Fourier : Finalement, vous proposez quelque chose qui se fait au plan national, si j'ai bien compris ( même si ensuite ça peut être des décisions conjointes de différents Etats qui peuvent toujours tomber d'accord pour faire la même chose). On pourrait vous dire que finalement vos propositions remettent d'une certaine façon en cause l'Europe elle-même. Or l'Europe est en elle-même un bien, du moins c'est ce que je comprends en écoutant les médias d'une façon générale et les politiques. Je suis donc un peu surprise parce que ça risque vraiment de mettre en cause cette construction qui a demandé beaucoup d'efforts et qui est une nécessité...


UE, le débat émotionnel


Aurélien Bernier : Alors ça, c'est une illustration d'un amalgame qui est absolument insupportable, qui est un amalgame entre l'idée d'Europe et la construction européenne qu'on subit qui est cette Union Européenne qu'on a construite. Évidemment l'idée d'Europe a toujours un sens ! Evidemment l'idée de solidarité de coopération entre les peuples a toujours du sens, l'idée d'éviter les guerres, l'idée d'éviter les crises a du sens. Mais si on regarde l'histoire de l'Union Européenne, on voit que ce n'est absolument pas le cas. L'union européenne n'a pas évité les guerres: on a eu une guerre terrible en ex-Yougoslavie, et l'Union Européenne n'a absolument pas évité ça. L'Union Européenne n'évite pas les crises, sinon on ne connaîtrait pas la crise dans laquelle on est. L'Union Européenne ne permet pas d'aller vers plus de solidarité: au contraire on a une mise mise en concurrence entre les peuples, entre les économies, on va mettre en concurrence des pays d'Europe de l'Est avec un coût de main-d'œuvre faible avec les pays industrialisés - et on tire tout vers le bas.


Je crois qu'il faut absolument sortir de ce débat émotionnel où les européistes essaient toujours de ramener sur le terrain émotionnel, bien sûr. Il faut avoir une analyse objective des politiques européennes. Alors pour prendre un exemple, ce qui formidable, c'est en matière d'environnement, parce que, quand on regarde les discours des représentants de l'Union Européenne, on a l'impression qu'ils sont plus écolo que Nicolas Hulot et All Gore réunis. Mais quand on regarde les politiques de l'Union Européenne, on est dans l'agriculture intensive, on est de la promotion des OGM, on est dans le libre-échange donc dans la consommation effrénée d'énergie et donc on est dans la destruction de la planète. Et je crois que sur tout ces sujets, il faut faire un examen objectif des politiques européennes... On n'est pas bien sûr contre l'idée de solidarité, l'idée d'empêcher les guerres, l'idée que les peuples échangent, communiquent, commercent même. Mais on est bien dans l'examen objectif des politiques européennes. Cette construction est une construction ultralibérale et donc, si on veut une autre Europe, il va falloir changer non pas l'Europe, mais changer d'Europe et peut-être reconstruire quelque chose de haut en bas pour aller vers l'Europe qu'on souhaite.


 

 

 


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posté le jeudi 21 mai 2009

Transgénial !

 

 

On connaît Attac, l'association d'éducation populaire, prompte à disséquer le fonctionnement des marchés financiers et la logique du néolibéralisme. On ne soupçonnait pas qu'il pourrait naître de l'esprit sérieux et inquiet de deux militants une série d'histoires débridées qui nous projettent dans le monde transgénial de demain : quand les poules auront des dents, ou plus une plume sur la chair à nuggets du King-Bunker, quand les chats-Terminator deviendront des souris de laboratoire, et quand les OGM seront la norme, le trafic de salade sera sévèrement puni...

 

Editeur(s) : Mille et une nuits

Auteur(s) : Attac, Aurélien Bernier, Michel Gicquel
Collection :
Parution : 03/05/2006

Edition : 1ère édition

Nb de pages : 150 pages

Format : 11 x 21

 

 

Le blog de Transgénial !

 

 


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posté le jeudi 21 mai 2009

Non au capitalisme vert

Les objecteurs de croissance, antiproductivistes et autres écologistes savent que la crise financière n’est que le révélateur d’une crise systémique qui menace l’avenir de l’humanité et dont le moteur est le productivisme. La solution ne peut être recherchée ni dans l’adaptation de la nature aux besoins de l’économie ni dans des délires technoscientistes menaçant l’humanité elle-même. La solution ne peut pas être cherchée dans l’invention d’une « finance verte » comme moyen de régulation du système capitaliste productiviste.


Les auteurs de ce livre, réunis à l’occasion du deuxième « Contre-Grenelle », décortiquent les visages de ce capitalisme vert : ses fondements, la mascarade de la croissance verte, le consumérisme, la marchandisation des enjeux écologiques… Ils engagent aussi un débat sur les perspectives politiques capables de constituer un projet de société réalisable et désirable.


Paul Ariès, Aurélien Bernier, Maurice Charrier, Vincent Cheynet, Philippe Corcuff, Sophie Divry, Gilbert Dumas, Véronique Gallais, Philippe Godard, Catherine Levraud, Stéphane Lhomme, Corinne Morel Darleux, Laure Pascarel, Denis Vicherat, Yannis Youlountas.

 

Parangon/Vs ­ 31, rue de Brest ­ 69002 Lyon ­ Tel : 04 92 53 59 62

 


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posté le jeudi 21 mai 2009

Les OGM en guerre contre la société

 

 

 

Il y a OGM et OGM. La question posée n'est pas celle de la transgénèse en général, mais celle des risques que fait courir l'utilisation des plantes transgéniques dans l'agriculture et l'alimentation : risques sur la santé, que même la recherche publique ne semble guère pressée de mesurer ; risques de dissémination dans l'environnement que, unanimes, les assureurs refusent de couvrir. Après un tel verdict du "marché", la cause devrait être entendue.

 

Pour les ministres et commissaires européens, il n'en est rien. Aussi bien à Paris qu'à Bruxelles, et sous la pression des lobbies, on se refuse à prendre le temps des évaluations scientifiques indépendantes. Le profit d'abord, et tout de suite, par la mise sous tutelle des agriculteurs. À la guerre que les OGM déclarent à la société - qui les refuse massivement -, celle-ci, du simple citoyen aux collectivités, doit répondre de multiples manières. En premier lieu en utilisant l'arme du droit.


Editeur(s) : Mille et une nuits

Auteur(s) : Attac

Collection : Les petits libres
Parution : 25/08/2005
Nb de pages : 138 pages
Format : 10,5 x 15

 


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posté le jeudi 21 mai 2009

L'actualité Poitou-Charentes : Droits à polluer : un commerce juteux

 

Pendant des décennies, les économies libérales ont poursuivi leur croissance effrénée en faisant fi des questions environnementales. Aujourd'hui, face aux signes manifestes d'un changement climatique et aux prévisions alarmistes des scientifiques, les pouvoirs politiques et économiques se sont trouvés obligés de se positionner. Sans pour autant rompre avec la logique productiviste qui ne peut que déboucher sur un désastre écologique. C'est, au contraire, tout à tait en phase avec l'idéologie néolibérale que les autorités internationales ont vu l'opportunité de transformer la crise environnementale en source de profits, par le biais du marché des «droits à polluer».

 

 

 

 


Et c'est dans les coulisses de ce secteur émergent, hautement lucratif, le marché des gaz à effet de serre, que nous entraîne Aurélien Bernier (L'Actualité n° 79) dans son livre Le climat, otage de la finance. Un essai très documenté, dans lequel l'auteur montre comment la solution du marche s'est imposée sans aucun débat démocratique, comment s'est développé un nouveau créneau spéculatif à l'échelle internationale, comment, dans les faits, les mesures de lutte contre le changement climatique ont été détournées au bénéfice de la seule spéculation. Le livre ouvre sur un voyage aux origines de "l'écologie libérale», au début du xxème siècle, lorsque commencent à émerger, dans les milieux économiques, les préoccupations environnementales. Aurélien Bernier montre comment, très rapidement, le néolibéralisme a vu le profil qu'il pouvait en tirer. Comment est né, en 1920 en Angleterre, le principe qui mènera à la création des marchés des droits à polluer, avec l'apparition des premières taxes sur les risques induits sur l'environnement.

 

Ce système est mis en œuvre à grande échelle aux Etats-Unis au début des années 1990, selon le principe du «pollueur-payeur», dans le cadre de la lutte contre la pollution atmosphérique, en particulier par le dioxyde de soufre (SO2). Le pouvoir politique attribue à chaque industriel un quota de droits à polluer - pudiquement intitulés «permis d'émission». Un marche s'instaure alors, permettant l'échange de ces droits, fonctionnant en toute opacité et selon la logique spéculative, et aboutissant d'un point de vue environnemental à des résultats très contestables.

 

L'auteur lève ensuite le voile sur la «vaste supercherie» du protocole de Kyoto. Des la fin des années 1980, la communauté internationale commence à sérieusement s'alarmer du phénomène de changement climatique. La création, en 1988,du Groupe inter-gouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) aboutit à l'élaboration d'un traité international qui entre en vigueur en 1994, et sera traduit en objectifs chiffrés et en mesures concrètes au travers du fameux protocole de Kyoto en 1997. Il faudra encore attendre jusqu'en 2005 pour que ces mesures soient réellement mises en œuvre autour d'un certain nombre d'objectifs chiffrés. Et encore ! Seuls 172 Etats ratifient cet accord - les Etats-Unis refusent de le signer - et ces objectifs sont dérisoires, avec une baisse moyenne de 5,2 % de rejets de dioxyde de carbone (les émissions des différents gaz à effet de serre sont reconverties en «tonnes équivalent carbone»), soit en réalité une réduction de 2,08 % des rejets mondiaux, ce qui correspond à une diminution de 0,16 % sur la période de 2008 à 2012!

 

Dans le même temps, les Etats s'accordent pour introduire dans le protocole différents systèmes de «flexibilité», avec, en premier lieu, le choix d'étendre au niveau international le marché des échanges de quotas d'émission de gaz à effet de serre. Ainsi, en Europe, en 2005. les outils du marché du carbone sont progressivement mis en place. Autre principe de flexibilité : on choisit, plutôt que de comptabiliser les émissions réelles, de chiffres les quantités supposées évitées. Ainsi, on peut réduire ses propres quotas en participant à un projet de réduction des émissions de gaz à effet de serre dans d'autres pays à objectifs chiffrés (projets de mise en œuvre conjointe - MOC) ou dans des pays en voie de développement non soumis à objectifs chiffrés (mécanismes de développement propre - MDP). Ce système des MDP, qui représente une formidable réserve de quotas, et à des prix beaucoup moins élevés que leur niveau international, constitue une manne spéculative pour les entreprises occidentales. C'est ainsi que Rhodia, en investissant 14 millions d'euros en 2005 pour rénover des usines en Corée et au Brésil, a dégagé, grâce à ce mécanisme, un gain de 200 millions d'euros par an.

 

Au final, près de 90 % des réductions d'émissions imposées en Europe pourraient être compensées par l'achat de crédits hors de l'Union, principalement dans les nouveaux pays industrialisés (Chine, Inde, Brésil),et pour une moindre part, dans les pays en développement, comme l'Afrique.

 

«Après avoir pollué gratuitement pendant des années, les multinationales vont réussir le tour de force d'engranger des profits sur le dos du réchauffement climatique.» L'auteur montre aussi comment ce système de marché des droits à polluer est en passe d'être généralisé aux installations publiques, et bientôt même... à chaque individu.

 

Au terme de cette minutieuse démonstration, et partant du constat que les émissions de dioxyde de carbone sont en croissance continue (plus de 1 % par an), l'auteur laisse clairement apparaître que les objectifs fixés par le GIEC - diviser par deux les émissions sur cinquante ans - ne peuvent être atteints qu'au travers d'une remise en cause radicale du paradigme de la croissance. Dans la dernière partie de son ouvrage, il propose une série de solutions s'inscrivant dans cette optique anti libérale et remettant en cause radicalement les rapports de priorité entre le social, l'économique et l'environnement.


Mireille Tabare

Le climat otage de la finance, d'Aurélien Bernier, éd. Mille et une nuits, 2008


 


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