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Titre du blog : Démondialiser et coopérer
Auteur : abernier
Date de création : 28-11-2007
 
posté le 21-05-2009 à 13:54:35

L'actualité Poitou-Charentes : Droits à polluer : un commerce juteux

 

Pendant des décennies, les économies libérales ont poursuivi leur croissance effrénée en faisant fi des questions environnementales. Aujourd'hui, face aux signes manifestes d'un changement climatique et aux prévisions alarmistes des scientifiques, les pouvoirs politiques et économiques se sont trouvés obligés de se positionner. Sans pour autant rompre avec la logique productiviste qui ne peut que déboucher sur un désastre écologique. C'est, au contraire, tout à tait en phase avec l'idéologie néolibérale que les autorités internationales ont vu l'opportunité de transformer la crise environnementale en source de profits, par le biais du marché des «droits à polluer».

 

 

 

 


Et c'est dans les coulisses de ce secteur émergent, hautement lucratif, le marché des gaz à effet de serre, que nous entraîne Aurélien Bernier (L'Actualité n° 79) dans son livre Le climat, otage de la finance. Un essai très documenté, dans lequel l'auteur montre comment la solution du marche s'est imposée sans aucun débat démocratique, comment s'est développé un nouveau créneau spéculatif à l'échelle internationale, comment, dans les faits, les mesures de lutte contre le changement climatique ont été détournées au bénéfice de la seule spéculation. Le livre ouvre sur un voyage aux origines de "l'écologie libérale», au début du xxème siècle, lorsque commencent à émerger, dans les milieux économiques, les préoccupations environnementales. Aurélien Bernier montre comment, très rapidement, le néolibéralisme a vu le profil qu'il pouvait en tirer. Comment est né, en 1920 en Angleterre, le principe qui mènera à la création des marchés des droits à polluer, avec l'apparition des premières taxes sur les risques induits sur l'environnement.

 

Ce système est mis en œuvre à grande échelle aux Etats-Unis au début des années 1990, selon le principe du «pollueur-payeur», dans le cadre de la lutte contre la pollution atmosphérique, en particulier par le dioxyde de soufre (SO2). Le pouvoir politique attribue à chaque industriel un quota de droits à polluer - pudiquement intitulés «permis d'émission». Un marche s'instaure alors, permettant l'échange de ces droits, fonctionnant en toute opacité et selon la logique spéculative, et aboutissant d'un point de vue environnemental à des résultats très contestables.

 

L'auteur lève ensuite le voile sur la «vaste supercherie» du protocole de Kyoto. Des la fin des années 1980, la communauté internationale commence à sérieusement s'alarmer du phénomène de changement climatique. La création, en 1988,du Groupe inter-gouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) aboutit à l'élaboration d'un traité international qui entre en vigueur en 1994, et sera traduit en objectifs chiffrés et en mesures concrètes au travers du fameux protocole de Kyoto en 1997. Il faudra encore attendre jusqu'en 2005 pour que ces mesures soient réellement mises en œuvre autour d'un certain nombre d'objectifs chiffrés. Et encore ! Seuls 172 Etats ratifient cet accord - les Etats-Unis refusent de le signer - et ces objectifs sont dérisoires, avec une baisse moyenne de 5,2 % de rejets de dioxyde de carbone (les émissions des différents gaz à effet de serre sont reconverties en «tonnes équivalent carbone»), soit en réalité une réduction de 2,08 % des rejets mondiaux, ce qui correspond à une diminution de 0,16 % sur la période de 2008 à 2012!

 

Dans le même temps, les Etats s'accordent pour introduire dans le protocole différents systèmes de «flexibilité», avec, en premier lieu, le choix d'étendre au niveau international le marché des échanges de quotas d'émission de gaz à effet de serre. Ainsi, en Europe, en 2005. les outils du marché du carbone sont progressivement mis en place. Autre principe de flexibilité : on choisit, plutôt que de comptabiliser les émissions réelles, de chiffres les quantités supposées évitées. Ainsi, on peut réduire ses propres quotas en participant à un projet de réduction des émissions de gaz à effet de serre dans d'autres pays à objectifs chiffrés (projets de mise en œuvre conjointe - MOC) ou dans des pays en voie de développement non soumis à objectifs chiffrés (mécanismes de développement propre - MDP). Ce système des MDP, qui représente une formidable réserve de quotas, et à des prix beaucoup moins élevés que leur niveau international, constitue une manne spéculative pour les entreprises occidentales. C'est ainsi que Rhodia, en investissant 14 millions d'euros en 2005 pour rénover des usines en Corée et au Brésil, a dégagé, grâce à ce mécanisme, un gain de 200 millions d'euros par an.

 

Au final, près de 90 % des réductions d'émissions imposées en Europe pourraient être compensées par l'achat de crédits hors de l'Union, principalement dans les nouveaux pays industrialisés (Chine, Inde, Brésil),et pour une moindre part, dans les pays en développement, comme l'Afrique.

 

«Après avoir pollué gratuitement pendant des années, les multinationales vont réussir le tour de force d'engranger des profits sur le dos du réchauffement climatique.» L'auteur montre aussi comment ce système de marché des droits à polluer est en passe d'être généralisé aux installations publiques, et bientôt même... à chaque individu.

 

Au terme de cette minutieuse démonstration, et partant du constat que les émissions de dioxyde de carbone sont en croissance continue (plus de 1 % par an), l'auteur laisse clairement apparaître que les objectifs fixés par le GIEC - diviser par deux les émissions sur cinquante ans - ne peuvent être atteints qu'au travers d'une remise en cause radicale du paradigme de la croissance. Dans la dernière partie de son ouvrage, il propose une série de solutions s'inscrivant dans cette optique anti libérale et remettant en cause radicalement les rapports de priorité entre le social, l'économique et l'environnement.


Mireille Tabare

Le climat otage de la finance, d'Aurélien Bernier, éd. Mille et une nuits, 2008