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Titre du blog : Démondialiser et coopérer
Auteur : abernier
Date de création : 28-11-2007
 
posté le 10-12-2008 à 17:44:53

Pour ou contre la finance carbone ?

 

Débat contradictoire sur le média en ligne Novethic : http://www.novethic.fr

Pour ou contre la finance carbone ?

Le terme de finance carbone recouvre les divers mécanismes de marché destinés à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Mis en œuvre au sein de l’Union Européenne et dans le cadre du protocole de Kyoto, ils sont remis en cause par ceux qui souhaiteraient que la lutte contre le changement climatique relève de régulations internationales et que le prix du carbone soit fixé par des taxes. Aurélien Bernier qui vient de publier un livre « Le climat, otage de la finance » défend cette thèse. Interview croisée entre lui et Pierre Ducret, Directeur des services bancaires de la Caisse des dépôts, en charge des investissements dans la finance carbone.

Pensez-vous que la finance carbone est un moyen efficace de réduire les émissions de gaz à effet de serre ?
Pierre Ducret
 : La finance carbone est un instrument de complément qui peut être très efficace pour certains acteurs et certaines émissions. Le marché a un avantage énorme : sa neutralité géographique et sectorielle. Un système de taxe et de régulation ne pourrait pas avoir ses caractéristiques. Une tonne de CO 2 ici n’aurait pas le même prix qu’une tonne de CO2 ailleurs et la redistribution des subventions obtenues par le prélèvement de taxes poserait sans doute de nombreux problèmes.
Aurélien Bernier : Entre 1997 et 2007, les émissions mondiales ont augmenté de 35 % ! La réponse de la finance carbone n’est pas proportionnelle aux enjeux et ne cible pas les vraies causes. Pour réduire vraiment les émissions, il faut des décisions politiques et de la régulation.
20% des émissions mondiales sont le fait de productions réalisées dans les pays en développement, mais consommées dans les pays développés! C'est bien la logique du commerce international qu'il faut remettre en cause, ainsi que nos choix de production.

La création du marché du carbone a permis de lui donner un prix. Est-ce un facteur clef ?
Pierre Ducret : Il s’agit de sensibiliser des acteurs internationaux partout dans le monde. Le facteur prix est décisif pour les industriels qui peuvent ainsi évaluer le coût de la réduction des émissions, les investissements nécessaires et obtenir, en échange, un actif monnayable et susceptible de produire des bénéfices. Il est très important, pour être efficace, de pouvoir intégrer la logique économique et financière qui régit le monde des entreprises et de la finance. C’est une garantie d’acceptation du système. La taxe provoque l’effet inverse.
Aurélien Bernier : Je ne suis pas du tout d’accord avec le fait que la grande réussite du marché est d'avoir donné un prix à la pollution, pour trois raisons. Un, le prix de la tonne de CO2 sur le marché européen, à la fin de la première période en 2007, était dérisoire: 2 centimes d'euros. Deux, une réglementation peut être bien plus efficace pour fixer un prix et rendre plus onéreux le carbone. Trois, les périodes de crise comme celles que nous traversons font régresser toutes les démarches volontaires ou les systèmes dérégulés. Il faut pouvoir contraindre les entreprises.



Pensez-vous que les acteurs du marché carbone prennent en compte la finalité de cet outil ?
Pierre Ducret 
: Il y a un risque que des spéculateurs perturbent ce marché mais c’est là que les régulations sont importantes. Elles doivent pouvoir les empêcher de déstabiliser un marché comme celui du carbone. Ceci dit, on sait que dans les dispositifs de taxe, il y a un autre genre de risque, celui de la corruption, plus particulièrement dans certains pays où elle est massivement répandue.
Aurélien Bernier : Le problème c’est qu’on a créé un nouveau secteur financier avec des risques de spéculation et de bulle. Les intermédiaires pour qui le carbone est un actif comme un autre, n’ont pas pour finalité de réduire les émissions mais de gagner de l’argent. Aujourd’hui les acteurs majoritaires sont des fonds spéculatifs. Ce sont des investisseurs, pas des industriels. Or, la crise financière actuelle démontre la capacité de nuisance du système financier.

Les raisonnements économiques qui guident la finance carbone conduisent les mécanismes de développement propre, liés au protocole de Kyoto, à se consacrer sur des pays comme la Chine ou l’Inde et sont quasi absents de l’Afrique. Est-ce une bonne ou une mauvaise chose ?
Pierre Ducret
 : C’est une excellente chose que les flux de capitaux carbone aillent dans la zone ou la croissance des émissions est la plus forte et la plus rapide. Même si en Chine construit une centrale thermique au charbon par semaine, le paramètre CO 2 est intégré à la base. Faire entrer ces pays dans ces mécanismes de marché est la première étape pour les amener à intégrer les dispositifs internationaux sur le climat post-Kyoto. Les Chinois et les Indiens ont compris qu’ils étaient plus exposés que les occidentaux aux conséquences du réchauffement climatique.
Aurélien Bernier : La course aux projets évite presque entièrement les régions du monde qui en auraient le plus besoin comme l’Afrique. Les Mécanisme de développement propre doivent pouvoir générer des crédits carbone, peu de projets de ce continent offrent cette possibilité. Ces mécanismes sont inadaptés pour des pays pauvres en économie de survie. Imposer les mêmes critères au Burkina-Faso et à la Chine est du même niveau que de prôner une libre concurrence entre le Ghana et les Etats-Unis !

Pensez-vous que les mécanismes de la finance carbone doivent faire l’objet d’un débat public plus large ?

Pierre Ducret : Pour la première fois de son histoire, l’humanité débat, à l’échelle planétaire, d’un enjeu écologique : le climat. Y participent les scientifiques, les acteurs publics, les entreprises, les ONG les citoyens-consommateurs et ce dans tous les pays. Peut-il y avoir un plus vaste débat ?
Aurélien Bernier : Je pense que le débat politique pour décider si le système du marché est le bon n’a jamais eu lieu. C’est pour cela que j’ai écrit mon livre. L’objectif était d’informer, le plus clairement possible, de simples citoyens. Depuis sa sortie, en septembre, j’ai participé à des dizaines de débats en France. Le public se passionne pour ces questions dont il comprend l’enjeu. C’est sur que dans le contexte actuel, le modèle de la finance carbone est plus difficile à défendre !