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Titre du blog : Démondialiser et coopérer
Auteur : abernier
Date de création : 28-11-2007
 
posté le 10-12-2008 à 17:37:35

Entretien dans l'Usine à GES n°50

 

Nombreuses sont les voix à critiquer la mainmise des investisseurs sur les outils financiers de la lutte contre le changement climatique.

Auteur du « Climat otage de la finance », Aurélien Bernier est l’un de leur porte-parole. À écouter.

 

 

À vous lire, les outils financiers climatiques ne trouvent pas grâce à vos yeux…

 

Comme professionnel de l’environnement et militant alter mondialiste, la finance carbone m’a rapidement interpellé. Et j’ai voulu en savoir plus. J’ai mis de côté mes a priori pour me faire une idée objective, mais ce que j’ai trouvé est vraiment caricatural.

 

C’est-à-dire ?

 

L’ONU et l’Union européenne ont créé des marchés de droits à polluer sans régulation. Il était donc inévitable qu’ils attirent les acteurs des autres marchés, et notamment les spéculateurs.

 

Le profit et la protection de la planète sont-ils nécessairement incompatibles ?

 

Dans une certaine mesure, non. Mais la crise financière actuelle nous apprend que les spéculateurs utilisent des capitaux qui sont totalement déconnectés de l’économie réelle. Et ce n’est pas sain. Mais le plus grave, c’est que les mécanismes de flexibilité du protocole de Kyoto ont démontré leur inefficacité environnementale.

 

Tout n’est pas de la faute des « spéculateurs »…

 

Effectivement, en ayant alloué de trop gros volumes de quotas, en ayant permis aux entreprises d’utiliser massivement les crédits générés par le mécanisme de développement propre (MDP) et la mise en œuvre conjointe (MOC), les politiques ont aussi leur part de responsabilité. Mais d’un autre côté, les industries polluantes n’ont rien fait pour réduire leurs émissions. Entre 1997 et 2007, les rejets de CO2 ont progressé de 35% dans le monde.

 

Dans le monde. Or, pour le moment, les flex-mex concernent surtout les entreprises européennes et japonaises.

 

Bien sûr, mais ces entreprises délocalisent massivement leurs productions les plus sales dans les pays en développement. Ce qui fait que la relative stabilisation des émissions de CO2 observée dans l’UE se traduit par une forte croissance des rejets carbonés des pays en développement. Or, n’oublions pas que le protocole de Kyoto ne fixe une contrainte carbone qu’aux pays développés.

 

La faute à la mondialisation, alors ?

 

Ce phénomène ne date pas d’hier. Nous voyons les résultats de trente ans de dérégulation économique. En imposant le libre-échange comme valeur suprême, les politiques ont cassé les instruments de la régulation économique. Or, aujourd’hui, pour lutter efficacement et rapidement contre le changement climatique, nous avons besoin de régulation.

 

Par exemple ?

 

L’un des outils les plus efficaces à notre disposition serait sans nul doute l’imposition d’une taxe aux frontières sur le contenu carbone des produits. Même si le gouvernement français, via la loi Grenelle 1, a prévu d’en étudier la faisabilité, il est probable qu’un tel outil fiscal n’a aucune chance d’être mis en place. D’ailleurs, je soupçonne fort le gouvernement d’avoir instauré cette disposition plus pour que se donner bonne conscience que pour réellement faire avancer le débat.

 

Pour quelles raisons ?

 

Le traité de Maastricht a imposé l’unanimité pour toute décision sur la fiscalité européenne. Pour que la France, ou un autre pays membre, puisse mettre en place cette taxe carbone, il faudrait que les « 27 » approuvent le projet. On peut toujours y croire. D’autre part, une telle taxe serait contraire aux règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). À l’heure où l’on doit agir vite et fort pour préserver le climat, les politiques se rendent compte qu’ils sont totalement démunis de moyens pour le faire.

 

Admettons que vous accédiez aux affaires, quelle serait votre politique ?

 

La toute première mesure à prendre, sans laquelle on ne peut rien faire, c’est d’instaurer une concurrence réellement non faussée.

 

Vous rejoignez-là les libéraux…

 

Ce sera l’une des rares fois, rassurez-vous. Mais si on met en place un cadre permettant une véritable concurrence non faussée en intégrant dans les coûts finaux les externalités économiques, tels les coûts sociaux et climatiques, le système économique peut devenir plus vertueux.

 

À ceci près que les pays en développement risquent d’être pénalisés par la taxe carbone…

 

Pas si une partie de son produit est affectée à la réalisation, chez eux, de projets réellement propres. Dans ce cas, ces économies bénéficient de transferts de technologies plus importants qu’avec le MDP ou la MOC et deviennent plus propres. Je suis convaincu qu’une telle approche, collaborative, permettrait d’aller vers un mieux-disant social et environnemental.

 

Mais quel pays peut prendre le risque d’instaurer de tels dispositifs ?

 

La communauté internationale a un peu trop tendance à dire qu’il faut que tout le monde progresse en même temps. Or, on voit bien qu’en utilisant cet argument, les négociations sur le post-2012 ne progressent pas. Les libéraux, notamment américains, ont bien compris que lorsqu’une négociation multilatérale patine, mieux vaut négocier en bilatéral.

 

Avec l’OMC ?

Non, l’OMC n’est franchement pas réformable. Regardez ce qui s’est passé l’été dernier. En pleine crise alimentaire internationale, cet organisme a plaidé pour que les pays touchés mettent leurs produits alimentaires sur le marché mondial plutôt que de nourrir leurs populations. Tout ça pour ne pas perturber le marché. Un tel fanatisme libéral est ahurissant et je ne le vois pas évoluer.

 

Après l’OMC, les mécanismes de flexibilité sont-ils améliorables ?

Ces systèmes ne sont ni efficaces, ni équitables. Ils ne permettent qu’à quelques Etats et quelques multinationales d’acquérir à bas prix les crédits d’émission dont ils ont besoin, sans que cela soit bénéfique pour les pays-hôtes ou les riverains des projets. Il faut, à l’évidence, refondre les règles de ces mécanismes.

 

Avez-vous testé vos idées auprès des pays en développement ?

 

Pas encore, car ce débat sur de nouvelle taxes aux frontières émerge à peine.

 

 

 

De plus, les pays en développement considèrent qu’après les pays industrialisés, ils ont eux aussi le droit de se développer, quitte à polluer pour le faire. C'est la preuve qu'il faut une remise en cause profonde, avec de nouvelles règles pour le commerce international basées sur la coopération et la solidarité.

 

Lorsque vous n’écrivez pas, vous travaillez à la protection de l’environnement dans une collectivité. Le climat occupe-t-il une place d’importance dans vos actions ?

 

Le changement climatique est très déstabilisant pour les élus. Leur intérêt pour cette question est manifeste. Ils sont de plus en plus nombreux à lancer des plans climat territoriaux, ce qui est une excellente chose. Mais la portée de ces outils est limitée.

 

Les maires ont tout de même le pouvoir de modifier l’organisation des transports, d’accorder ou non des permis de construire…

 

C’est vrai, mais ils n’ont que très peu d'influence sur l’économie internationale. Or, tant que l’on n’agira pas sur les modes de production, que l’on ne modifiera pas les règles du commerce mondial, on jouera à la marge. Ce qui signifie que l’on peut faire une croix sur les objectifs de réduction d’émissions de GES préconisés par le GIEC.