Soit un marché financier « libre » et dérégulé, une bulle spéculative qui enfle, une poignée de multinationales occupées à réaliser de juteux bénéfices. Cela vous rappelle quelque chose ? Ce n'est pourtant pas de Wall Street ou de la City avant le krach qu'il s'agit ici, mais d'une variante nettement moins connue, élaborée loin de tout débat public malgré l'importance de ses enjeux : le marché des droits à polluer. Alors que les places boursières s'abîment partout sur la planète finance, un petit livre limpide et grand public, Le Climat otage de la finance, d'Aurélien Bernier (1), paraît à point nommé pour éclairer le citoyen sur ce mécanisme complexe. Et surtout pour dénoncer une financiarisation folle, ici appliquée au climat, qui nous mène droit dans le mur, encore plus sûrement que la crise actuelle. De quoi est-il question?
En 1997, les négociateurs du protocole de Kyoto mettent en place un plan de réduction des gaz à effet de serre d'un genre nouveau, inspiré par les Etats-Unis. Il s'agit de lutter contre le réchauffement climatique, puisqu'il le faut bien, mais sans réglementation ni contrainte supplémentaires. Comment ? En ayant recours à un marché « autorégulé », transformant les financiers en courageux défenseurs de la planète ! Ainsi - et alors que les Etats-Unis se retirent du jeu... - naissent les premières « Bourses du carbone » : on accorde des « droits à polluer », en l'occurrence du CO2, principal gaz à effet de serre dû à l'activité humaine, sous forme de titres, que les entreprises s'échangent sur ce marché. Celles qui n'ont pas réussi à diminuer leurs émissions de gaz achètent des « crédits carbone » à d'autres qui, elles, ont réduit leur pollution. Dix ans plus tard, le bilan est affligeant. Les émissions de gaz à effet de serre ont augmenté de 35 %. Et de nombreux « effets pervers » entachent l'idyllique
tableau du marché carbone : affaires de corruption, vraies-fausses réductions d'émissions et surtout développement effréné de la spéculation puisque les entreprises essaient d'acheter les titres le moins cher possible pour les revendre au meilleur prix...
Car voilà bien la bizarrerie de la Bourse carbone, comme le démontre efficacement Aurélien Bernier : pour bien fonctionner, elle doit s'adosser à une réglementation solide et un régulateur puissant. Ce dont on est loin, très loin. Dans le contexte actuel, où l'on prend enfin conscience du désastre de la fïnanciarisation tous azimuts, ce petit bouquin a une singulière résonance. A méditer, à l'heure où le projet de loi Grenelle 1 n'en finit pas de se dégonfler. Et où le Pacte climatique européen menace de voler en éclats, alors même que Sarkozy avait annoncé une présidence française de l'Union européenne « résolument verte ». Promis juré •
WERONIKA ZARACHOWICZ
(1) Ed. Mille et Une Nuits, 164 p., 12 €.
LA BOURSE DU CARBONE ET LES DROITS À POLLUER : UN FIASCO ÉCOLOGIQUE.