La photo est belle. Messieurs Nicolas Sarkozy et George W. Bush y apparaissent, la pelle à la main, plantant de jeunes arbres dans une pelouse de la ville japonaise qui hébergea, du 6 au 10 juillet, la dernière réunion du G8. Qu'ils soient ou non sur le cliché, tous les membres du groupe
des huit pays les plus riches de la planète ont fait de même. Car planter un arbre est un magnifique symbole, qui permet de prouver au Monde que ses dirigeants se préoccupent d'écologie.
Comme le veut maintenant la coutume pour tout sommet international qui se respecte, la réunion du G8 affichait à son ordre du jour la lutte contre le changement climatique. Et comme chaque fois, le résultat des négociations est navrant. Nicolas Sarkozy ne trompe personne en estimant que cette étape constitue un « progrès important », au motif que les Etats-Unis auraient accepté de partager un objectif mondial de division par deux des émissions de gaz à effet de serre à échéance 2050. Car cette déclaration n'engage strictement à rien.
En premier lieu, un George W. Bush qui coule les jours tranquilles d'une fin de second et dernier mandat peut presque tout promettre, puisque la balle est déjà dans le camp de son successeur. Et si les engagements à réduire les émissions sont une figure obligée de la campagne présidentielle américaine, les crises économiques à répétition et la menace de plus en plus réelle de récession laissent planer un énorme doute sur la mise en oeuvre de mesures durables.
Deuxièmement, les membres du G8 ne sont parvenus à se mettre d'accord ni sur une année de référence, ni sur un objectif intermédiaire. Or, le choix de l'année prise en référence sera déterminant dans le calcul, puisque les émissions mondiales ne cessent d'augmenter. Des objectifs intermédiaires, quant à eux, permettraient d'établir un début de calendrier et éviteraient de renvoyer l'atteinte du résultat à une date à laquelle la plupart des chefs d'Etats présents au Japon seront morts et enterrés.
Enfin et surtout, l' « accord » des Etats-Unis ne vaut que si la Chine et l'Inde acceptent la même contrainte. Or, depuis les négociations du protocole de Kyoto à la fin des années 90, ces pays émergents refusent tout objectif chiffré de réduction, en invoquant le droit au développement. Sur ce point, leur position n'a pas varié d'un pouce.
Le progrès en question est donc aussi spectaculaire que la plantation de quelques arbres par nos jardiniers amateurs. Si l'on veut bien abandonner la langue de bois, il faut admettre que la situation est totalement bloquée. Les raisons en sont simples. Aucun des protagonistes n'est prêt à toucher à la croissance de son économie, ni sur le plan quantitatif, ni même sur le plan qualitatif. Aucun, évidemment, n'envisage de remettre en cause le libre-échange, véritable moteur des délocalisations et, par là même, des profits des multinationales et de la finance.
Or, ce système économique construit contre les peuples et pour les grandes puissances financières est, de très loin, le principal responsable de l'augmentation folle des émissions de gaz à effet de serre. Alors qu'une croissance « décarbonée », pour ne pas dire « verte », nous était promise, les émissions mondiales de dioxyde de carbone (CO2) ont augmenté de 35% depuis la signature du protocole de Kyoto en 1997. Si quelques rares Etats développés sont parvenus à réduire leurs rejets, ces « avancées » sont loin de compenser la régression provoquée par la stratégie de mondialisation poursuivie par les multinationales.
La très sérieuse revue américaine Environmental Science & Technology publiait en 2007 une étude de deux chercheurs en science de l'environnement1. Ceux-ci estiment que 20% des émissions mondiales de CO2 sont imputables aux produits fabriqués dans les pays en développement et importés par les pays développés. Alors que la production d'électricité, très peu délocalisable, est la première activité émettrice de CO2 (27% des émissions mondiales), ce chiffre de 20% signifie que les impacts sur le climat du commerce international sont tout simplement énormes. Avec un redéploiement de la production dans les Etats à bas niveau de protection environnementale, une surexploitation des ressources naturelles, un transport des produits sur des milliers de kilomètres... qui sont les conséquences évidentes du néolibéralisme, rien d'étonnant à ce que les pays développés soient importateurs nets de gaz à effet de serre.
Les membres du G8, qui ne peuvent ignorer un tel état de fait, ont donc fermé les yeux. Ils ont continué à tromper l'opinion publique en simulant la prise de conscience écologique. Ils ont utilisé un symbole particulièrement dangereux : celui qui consiste à faire croire que planter des arbres peut compenser les dégâts d'un système économique fondamentalement destructeur des écosystèmes.
S'ils avaient vraiment voulu agir pour la planète, les chefs d'Etat auraient mieux fait d'enterrer les politiques libérales. La tâche n'était pas si difficile ; le trou était déjà creusé.
1Embodied Environmental Emissions in U.S. International Trade, 1997-2004, Christopher L.Weber, H. Scott Matthews, Department of Civil and Environmental Engineering and Department of Engineering and Public Policy, Carnegie Mellon University, 10 mai 2007