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Titre du blog : Démondialiser et coopérer
Auteur : abernier
Date de création : 28-11-2007
 
posté le 24-07-2015 à 10:51:04

Faire ouvertement front au projet européen

 

La séquence de « négociations » entre la Grèce et l'Union européenne s'est achevée de la pire façon qui soit : par la signature, le 13 juillet, d'un accord renforçant l'austérité et détruisant encore un peu plus la souveraineté du peuple. Un accord accepté par le gouvernement de gauche radicale, élu justement pour en finir avec l'austérité et l'humiliation vécue par les Grecs depuis de longues années.

 

En rendant les armes, la majorité de Syriza emmenée par le premier ministre Alexis Tsipras n'a pas totalement trahi son programme électoral. Ce dernier, en effet, n'a jamais évoqué le fait de rompre avec l'Union européenne ou de sortir de la zone euro. Par contre, le référendum du 5 juillet, qui a vu le peuple dire massivement Non à un premier projet d'accord, interdisait absolument à Alexis Tsipras de signer un plan aussi proche du projet rejeté dans les urnes et aussi défavorable à la Grèce.

 

Le premier ministre a cru que la large victoire du Non le 5 juillet suffirait à assouplir la position des créanciers. Ce fut exactement le contraire. Mais cette erreur d'appréciation n'est rien à côté de la faute politique commise par la suite. Un référendum n'est pas un simple sondage d'opinion. Il engageait Alexis Tsipras à obtenir de meilleures conditions ou à refuser de signer. Quitte à démissionner en cas de blocage complet des négociations, lui qui avait mis cette démission sur la table huit jours plus tôt, à l'occasion du scrutin.

 

En acceptant l'ultimatum des créanciers, Syriza envoie un message terrible, à savoir que la rupture avec l'Union européenne serait encore pire que l'extrême austérité et la mise sous tutelle politique qui figurent dans l'accord. C'est une victoire de Margaret Thatcher à titre posthume : il n'y aurait aucune alternative à l'eurolibéralisme. C'est évidemment faux. Certes, il fallait envisager d'autres alliances (avec la Russie, la Chine...) qui n'auraient pas été sans contreparties, il fallait s'attendre à des représailles de la part des dirigeants européens et il fallait surtout avoir le courage de nationaliser largement, de dévaluer, de relancer la production et la consommation nationales. Mais on imagine difficilement que ce « plan B » puisse donner de pires résultats que le « plan A » qu'Alexis Tsipras a signé.

 

Peut-être la majorité de Syriza mise-t-elle sur un coup de billard à trois bandes pour se soustraire, à posteriori, à certaines clauses de l'accord. En attendant, ceux qui ont voté Non le 5 juillet ont bel et bien été trahis. Et les conséquences de cette faute sont prévisibles : le parti d'extrême droite Aube dorée s'est déjà positionné comme dernier rempart face à l'Union européenne ; il risque fort de progresser de façon spectaculaire lors des prochains scrutins.

 

Les répercussions seront également sévères dans le reste de l'Europe. Pour Podemos en Espagne tout d'abord, qui a cru bon de soutenir la majorité de Syriza après l'accord du 13 juillet. Dans ces conditions, où la coalition de gauche annonce à l'avance qu'elle aussi préférera se coucher plutôt que de rompre avec Bruxelles, on voit mal pourquoi les Espagnols la porteraient au pouvoir. Le renoncement de Syriza se paiera cher aussi en France. On imagine déjà Marine Le Pen renvoyer cet échec de la gauche radicale grecque à la figure de Jean-Luc Mélenchon ou de Pierre Laurent, qui auront bien du mal à trouver des arguments convaincants pour se défendre.

 

Les difficultés actuelles et celles qui s'annoncent sont très largement dues à la myopie de la gauche radicale sur la véritable nature de l'Union européenne. Pendant dix ans, entre le Non français du 29 mai 2005 et aujourd'hui, elle n'a cessé de prétendre, en dépit du bon sens, que les institutions communautaires étaient réformables. L'Union européenne pouvait bien imposer le traité de Lisbonne, le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG), martyriser et humilier les pays du Sud, négocier avec les États-Unis le Grand marché transatlantique... les Syriza, les Front de gauche et les Podemos n'en démordaient pas : la négociation avec Bruxelles, Francfort et Berlin permettrait de « changer l'Europe ». Et de faire de l'euro un outil au service des peuples... Le plus tragique est de ne pas avoir perçu que ce discours, même s'il est plus virulent dans sa forme, n'est qu'une réplique de la propagande sociale-démocrate : demain, l'Europe sociale ! Les promesses trahies de François Mitterrand, de Lionel Jospin puis de François Hollande suffisaient à disqualifier totalement cette stratégie. Mais la gauche radicale s'entêtait. Jusqu'à la séquence grecque de 2015 qui fait définitivement voler en éclat l'illusion de la « réforme de l'intérieur ».

 

Il est bien temps aujourd'hui d'entrouvrir ces débats, tout en les canalisant pour qu'ils ne nous emmènent pas trop loin. Clémentine Autain (Ensemble) estime que l'on peut à présent douter du fait que l'union monétaire soit le paradis sur Terre et que, par conséquent, on est en droit de remettre en cause son existence. Tout en précisant aussitôt que refuser l'euro ne veut pas dire refuser l'Union européenne. En Belgique, le trotskiste Daniel Tanuro accepte enfin d'envisager la sortie de la Grèce de la zone euro... avant d'indiquer que cette solution n'est pas valable pour la France ou d'autres pays. Je repense alors aux écrits de mon ami et camarade Samir Amin, au lendemain du 29 mai 2005 : « On ne pourra jamais faire évoluer "de l'intérieur" l'Europe engagée dans la voie du libéralisme atlantiste, en direction d'une "Europe sociale" et indépendante (des États-Unis). C'est en faisant front ouvertement au projet européen tel qu'il est qu'on maximisera les chances d'une construction alternative authentique1. » Et je me dis que nous avons perdu dix ans.

 

J'ai défendu de mon côté l'idée de « désobéissance européenne », en lui donnant un contenu très clair : restaurer la souveraineté juridique et monétaire au niveau national pour mener des politiques de gauche. Je considérais qu'à partir du moment où un État dirigé par la gauche radicale recouvrait sa souveraineté, l'appartenance formelle aux institutions communautaires était secondaire. Cela reste techniquement vrai, mais le sort qui est fait aujourd'hui à la Grèce change la donne. Le simple fait d'être membre de l'Union européenne est devenu politiquement intolérable pour la gauche. Il ne s'agit plus seulement de rompre avec l'eurolibéralisme. Il s'agit d'affirmer que nous n'avons absolument rien en commun, ni du point de vue des objectifs, ni du point de vue des valeurs, avec ces institutions conçues dans une logique de classe, pour lutter contre les peuples, et qui se sentent à présent assez puissantes pour ne plus faire le moindre compromis. Le seul objectif valable est d'en sortir et de les démanteler.

 

 

1« Quel "projet européen" ? », Samir Amin, 21 juin 2005.

 

Commentaires

jogo le 13-09-2015 à 15:15:14
Je suis très heureux de voir que certains à gauche se réveillent enfin pour comprendre l'impasse de l'euro. Il était très déprimant de voir uniquement le Front national ou Dupond-Aignant sur ce thème.

La monnaie est un domaine trop important pour la laisser à des institutions si peu démocratiques.

Mais sortir de l'euro pour reprendre une monnaie nationale oblige à davantage de maturité et de sens des responsabilités de la part des politiques.
cording le 04-09-2015 à 21:53:39
Tsipras-Syriza ont négocié en position de faiblesse en refusant l'hypothèse d'une sortie de l'euro et l'UE au moins par chantage également sur un défaut sur la dette. Ces "partenaires" de l'Eurogroupe ( qui n' a aucune existence légale) ne se sont jamais privés de faire savoir clairement le caractère nul et non avenu non seulement des souhaits ( et non exigences) mais aussi l'existence politique d'un tel gouvernement. Juncker "les traités européens sont supérieurs à la démocratie".

En conséquence Tsipras-Syriza ont perdu faute d'envisager une sortie de l'euro pour répliquer à la politique d'étranglement financier de la Grèce par la BCE. Ils auraient pu, ce qui est possible par les traités, réquisitionner la Banque centrale de Grèce pour l'obliger à émettre les euros nécessaires.

Depuis quand un prisonnier négocie sa liberté avec son geôlier? sa sortie du carcan de fer nommé euro ?
Baptiste H le 16-08-2015 à 19:57:34
Bonjour, je partage votre analyse qui me réconcilie profondement avec les idées de la gauche radicale, que je voyais danser sur un pied depuis des années, écartelée par sa vision universaliste et l'appartenance forcée au carcan de l'UE. En revanche, comme Mido, je m'étonne de ne pas y voir une jonction avec les analyses de François Asselineau et de l'UPR qui sont celles qui m'ont permis de sortir de cet européisme béat dans lequel j'étais plongé. A quand une participation de la gauche radicale au nouveau programme du CNR de l'UPR ? A quand une dénonciation claire de cette dictature néolibérale dont nous pourrions sortir légalement, en toute quiétude, et restaurer notre souveraineté pour enfin mettre en place des politiques sociales concretes ? Merci - Baptiste
Mido le 16-08-2015 à 13:46:36
l'irréformabilité de l'Union Européenne, c'est exactement le leitmotiv en France de l'UPR, parti de François Asselineau. Pourquoi éludez vous l'existence même de ce parti que vous devez pourtant connaître ?

L'UPR est justement le seul parti en France qui prône dans sa Charte fondatrice même la sortie de l'UE par l'article 50, de l'euro et de l'OTAN.

Comment se fait il donc que dans cet article, vous n'en fassiez pas mention ?
Henri Marteau le 27-07-2015 à 19:15:32
Ce que nous redoutions est arrivé.


Les masques sont tombés. l'UE avec sa monnaie unique sont irréformables. On ne réforme pas des institutions totalitaires, on les renverse.


Maintenant, les futurs gouvernements qui oseront se mettre en travers des institutions européennes savent ce qui les attend. Cela devrait servir de leçon à Podemos en Espagne qui rêve encore pouvoir changer le fonctionnement européen de l'intérieur.


Il ne faut plus se faire d'illusion sur la Gauche radicale pour engager le débat sur l'Euro et l'UE car ses dirigeants font l’amalgame entre valeurs universelles et supranationalité ce qui les amènent à considérer les Etats-Nations comme le mal absolu.


Le drame est qu'il n'existe aucune offre politique dans notre pays et en Europe proposant de s'affranchir de la camisole des institutions européennes, et cet espace laissé vacant par les partis politiques nourrit l'extrême droite qui s'y engouffre.


L'heure est peut-être venue pour tous ceux qui comme toi Aurélien, considèrent la démocratie, la monnaie, le budget indissociables de la souveraineté, d'envisager d'unir vos compétences pour faire avancer cette idée dans l'opinion ? Je pense à Jacques Sapir, Frédéric Lordon, Coralie Delaume, Cédric Durand, Raul-Marc Jennar et bien d'autres, ... Car il ne faut malheureusement pas compter sur les partis politiques devenus des syndicats d'élus pour engager le débat sur l'UE et l'Euro.
Cyril G le 24-07-2015 à 15:08:01
Je pense qu'il n'y a pas de mystère. Cette "Europe", c'est l'Europe des BANQUIERS (Goldman Sachs, Rothschild, etc.). La seule chose qui les intéresse c'est le profit par les intérêts des dettes et la spéculation sur la non-possibilité des pays endettés à pouvoir rembourser cette "dette". Pour ma part, j'appelle ça de l'escroquerie.