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Titre du blog : Démondialiser et coopérer
Auteur : abernier
Date de création : 28-11-2007
 
posté le 14-10-2014 à 10:53:26

Tourner la page du Front de gauche

 

 
En janvier 2014, dans un livre intitulé La gauche radicale et ses tabous, j’avançais une explication à l’échec électoral du Front de gauche et à la montée, simultanée, du Front national. Cette explication est double : un problème stratégique, d’une part – celui du lien qui perdure entre le PCF et le Parti socialiste – et un problème programmatique – celui du manque de clarté sur les questions du libre échange, de l’Union européenne et de la souveraineté.

 

 

Les élections du printemps 2014 ont malheureusement confirmé cette analyse. Contrairement à ce que j’espérais, le Front de gauche n’a ni coupé les ponts avec les socialistes au pouvoir, ni porté le seul message qui soit audible par les classes populaires : pour pouvoir gouverner à gauche, il faut sortir du libre échange et de l’ordre juridique et monétaire européen. Comme si ce n’était pas suffisant, nous avons assisté, par médias interposés, aux batailles rangées entre partisans de Jean-Luc Mélenchon et soutiens de Pierre Laurent, aux flots d’insultes sur les réseaux sociaux ou aux règlements de comptes dans les assemblées des collectivités locales. Tout cela ne peut plus durer.

 

À la fin de l’été, Jean-Luc Mélenchon annonçait le lancement d’une nouveau mouvement pour la Sixième République, autour d’un appel à signatures. Cette démarche a deux intérêts. Le premier est de dépasser la cadre du Front de gauche pour s’adresser directement au peuple, et de tenter ainsi de s’extraire des batailles d’appareils. Le second est de chercher à redresser l’image déplorable qu’ont les partis politiques dans l’opinion, en proposant des ruptures institutionnelles. Pourtant, en l’état, cette initiative me semble être une impasse. En restant « un pied dedans, un pied dehors », Jean-Luc Mélenchon et le Parti de gauche refusent de tourner la page du Front de gauche. Ils sont prisonniers de cette règle stupide en vigueur dans la sphère partisane (tout particulièrement à gauche), qui consiste à ne jamais vouloir endosser la rupture d’une alliance. Le Parti de gauche est toujours officiellement lié au PCF, lui-même lié au Parti socialiste. Jean-Luc Mélenchon peut s’épuiser à traiter François Hollande et Manuel Valls de tous les noms, il reste lié, par communistes interposés, à la majorité en place. Le problème stratégique n’est donc toujours pas réglé.

 

À cette première épine dans le pied de Jean-Luc Mélenchon s’en ajoute une deuxième : sa nouvelle démarche n’a pas réglé non plus le problème programmatique. La première préoccupation du peuple que l’on souhaite fédérer est, de très loin, celle de la crise économique. La question institutionnelle est certes importante, mais elle ne répond pas directement à la violence qui s’abat chaque jour un peu plus sur les classes populaires. Je suis personnellement favorable à une Sixième République et sans doute en phase avec la vision que Jean-Luc Mélenchon et le Parti de gauche peuvent en avoir. Mais on ne peut substituer la question institutionnelle à l’urgence sociale. Il faut donc porter, en même temps que l’idée de Sixième République, un programme clair de rupture avec le capitalisme qui en finisse avec les trois tabous de la gauche radicale : le libre échange, l’Union européenne et la souveraineté.

 

Jean-Luc Mélenchon et le Parti de gauche pourraient choisir un tout autre scénario : tourner la page du Front de gauche. Cette alliance était une belle idée, qu’il fallait tenter de mener le plus loin possible. Mais il est évident qu’elle n’a pas abouti aux résultats espérés : permettre au PCF de se désintoxiquer de sa dépendance au Parti socialiste, porter un programme crédible et battre les sociaux-libéraux et le Front national dans les urnes. Il faut cesser les affrontements internes entre organisations, les pseudo-réconciliations qui ne débouchent que sur de nouveaux affrontements. Le PCF a choisi une stratégie, celle du maintien des élus dans les collectivités locales, qui suppose des alliances avec le Parti socialiste. Le Parti de gauche a choisi de couper tous les ponts avec la majorité. Ces deux stratégies sont inconciliables, et le Front de gauche n’est donc plus crédible. Dans deux, cinq ou dix ans, les choses seront différentes. Le PCF sera peut-être décidé à sacrifier ses positions locales pour regagner une crédibilité nationale. Peut-être alors, un nouveau rassemblement sera possible. En attendant, mieux vaut suivre des chemins différents que de poursuivre ce lent suicide politique en direct.

 

Sur les questions programmatiques, la séparation entre le PCF et le Parti de gauche permettrait à ce dernier de construire ce qu’il n’a, pour la grande majorité des électeurs, jamais eu : un programme. Le Parti de gauche s’est constitué dans le but de créer le Front de gauche. Dès le départ, il est entré dans des négociations programmatiques avec le Parti communiste. Dans les élections nationales, il n’a jamais porté que des programmes « partagés » : L’humain d’abord en 2012 et celui des élections européennes de 2014. Un travail programmatique existe bien, mais personne, en dehors des militants, ne le connaît réellement. Et ceux qui le connaissent savent qu’il est loin d’être abouti. Dans ces conditions, appeler à s’organiser autour de la seule idée de Sixième République serait une erreur.

 

Pour répondre à la demande sociale des classes populaires et aux enjeux géopolitiques actuels, un programme de gauche radicale doit reposer sur trois piliers. Le premier est celui de la démondialisation. Ce terme a l’intérêt de condenser les mesures de rupture économique que la gauche radicale devra mettre en œuvre dès son arrivée au pouvoir : le protectionnisme pour relocaliser la production et taxer les capitaux, la sortie de l’ordre juridique et monétaire européen, l’affrontement avec la finance internationale. Le deuxième pilier est celui de l’internationalisme : il faut sortir de la concurrence internationale et lancer des stratégies de coopération à contre-courant des doctrines ultralibérales et libre-échangistes. Il faut faire voler en éclat l’idée, martelée depuis des décennies, que sans développement du commerce international et des investissements spéculatifs, il n’y a pas de relations possibles entre États. Au contraire, il y a des dizaines de façons de coopérer et d’entretenir des relations pacifiques : dans l’échange culturel, dans la recherche, dans l’éducation, dans la santé, dans la protection de l’environnement... Enfin, le troisième pilier est celui de la décroissance ou, pour ceux à qui le mot déplaît, de l’anti-productivisme. Il faut être clair : nous n’aurons plus jamais le taux de croissance des Trente Glorieuses, et c’est une très bonne chose. Cela nous oblige à construire un programme de gauche dans un cadre où le Produit intérieur brut, tel qu’il est calculé aujourd’hui, est amené à baisser. Cela nous oblige à développer le secteur non-marchand, mais aussi à taxer fortement les richesses pour redistribuer, tout en relocalisant la production. Ce n’est pas le manque de croissance qui génère le chômage et la crise, c’est le libre échange et l’austérité des politiques publiques. En assumant l’objectif de sortir du capitalisme et le moyen d’y parvenir qu’est la démondialisation, la gauche radicale n’a plus besoin de croissance pour assurer le plein emploi et transformer la situation des classes populaires.

 

Si la gauche radicale n’ose pas assumer ces positions (ce que Jean-Luc Mélenchon pourrait faire avec talent), d’autres en tireront les bénéfices aux prochaines élections nationales de 2017. Marine Le Pen, bien-sûr, qui joue très habilement du rejet de la mondialisation par les classes populaires tout en défendant un projet économique illusoire et inacceptable : celui du redressement du capitalisme français dans une concurrence internationale inchangée. Mais aussi le socialiste dissident Arnaud Montebourg, dont il ne faut pas sous-estimer les forces. Partisan d’une certaine forme de démondialisation, productiviste acharné, Arnaud Montebourg joue finalement sur le même terrain que Marine Le Pen, celui de l’imposture d’une nouvelle croissance, d’une relance de la compétitivité française, d’un capitalisme bleu-blanc-rouge, certes régulé, mais conquérant. Il est le pendant de gauche de la Présidente du Front national, respectable et rassurant pour les grandes entreprises françaises, et les médias se réjouissent à l’avance d’un match qui devrait faire grimper en flèche leur audimat et leur lectorat. Dans un tel scénario, un Front de gauche version 2012 ou un mouvement pour la Sixième République aux contours flous seraient totalement marginalisés.

 

Aurélien Bernier
 

Commentaires

HM le 22-10-2014 à 22:03:32
Les résultats des élections européennes du 25 mai dernier ont confirmé que la gauche radicale est inaudible auprès des catégories de population qui souffrent de l'austérité : les ouvriers, les employés et les jeunes auprès desquelles le FN a réalisé ses meilleurs scores.



La Gauche radicale n'a que 2 alternatives : soit elle engage son aggiornamento sinon elle se condamne à végéter politiquement.

Sans surprise elle a choisit de refuser de se remettre en cause car pour beaucoup de ses responsables de culture trotskiste et écolo-libertaire, les états-nations symbolisent le mal absolu, sont synonymes de nationalisme, d'affrontement entre les peuples, comme si l'UE ne les mettait pas en concurrence ? Pour eux, toute initiative ne vaut que si elle est supranationale.


Allez expliquer à l'ouvrier qui a vu son usine partir en Roumanie que l’ouverture des frontières, c’est chouette !

Allez expliquer à l'arboriculteur du Midi qui galère à cause de l’importation des pêches espagnoles récoltées par des immigrés payés une misère que l'Europe c’est chouette !


Quand des personnes de la Gauche radicale martèlent que la suppression des états-nations et des frontières c'est chouette, d’autres personnes sont d’accord avec cela : les grands patrons des multinationales. En réalité, ce n'est jamais en détruisant les états-nations, socle du fonctionnement de la démocratie, qu'on peut accéder aux valeurs universelles. C'est seulement en abattant les murs qui séparent et opposent les cultures.


Suite à son revers électoral du 25 mai dernier, alors que la Gauche radicale devrait être la grande pourfendeuse de la monnaie unique, outil de destruction sociale, elle a choisit de se focaliser sur la VI République. Deux questions fondamentales à ce propos :

1) En quoi la VI République changera t-elle les choses si c'est pour rester dépendant de l'UE et de l'Euro, outil de destruction sociale ?

2) L’Assemblée Constituante qui sera chargée de rédiger la Constitution de la VI République sera t-elle tirée au sort ou bien composée de professionnels de la politique ? Car ça change tout : des professionnels de la politique seront directement en conflit d'intérêt vis-à-vis des textes destinés à être appliqués à eux-mêmes. Par exemple ils n'accepteront jamais le principe du référendum révocatoire qui entravera leur carrière politique.


Selon la configuration politique actuelle, l'élection à la proportionnelle de l'Assemblée Constituante dégagerait une majorité FN – UMP. Une telle proposition de la Gauche radicale équivaut à se tirer une balle dans le pied.


Quand les responsables de la Gauche radicale cesseront d'assimiler le mot souveraineté à l’extrême droite et comprendront qu'amputer les peuples de leur souveraineté monétaire et budgétaire équivaut à mettre la démocratie entre parenthèses, alors ils retrouveront de la crédibilité. Sinon les populations qui souffrent de l'austérité continueront à se réfugier dans l'abstention ou le vote FN parce-que celui-ci est le seul parti, avec les gaullistes de DLR et les chevènementistes, à leur dire le mal que leur fait cette Europe-là et à afficher une volonté de rupture ?


Lorsque la Gauche radicale acceptera d'engager le débat sur l'UE et l'Euro, elle ne fera que se réapproprier un espace qu'elle n'aurait jamais dû laisser vacant et dans lequel le FN s'est niché sans avoir eu à se battre.


Le dernier livre : Europe, les Etats désunis de Coralie Delaume, se termine par cette phrase : "Comme toujours, le FN s'emparera de ce qu'on lui aura abandonné sans lutter et se nichera dans les espaces que les autres lui auront laissés vides. Reste à savoir ce qu'on est prêt à lui livrer. Car les renoncements d'aujourd'hui devront demain être assumés."


H M