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Titre du blog : Démondialiser et coopérer
Auteur : abernier
Date de création : 28-11-2007
 
posté le 29-04-2014 à 11:52:44

Pourquoi le PG s'accroche-t-il à l'euro ?

 

 

Dans un article du 27 avril 2014, intitulé « L'euro : on peut s'en sortir ! » (http://guillaumeetievant.com/2014/04/27/leuro-on-peut-sen-sortir/), Guillaume Etievant, Secrétaire national du Parti de gauche à l'économie et au travail, résume la position de son organisation sur la question de la monnaie unique.

 

L'auteur critique vertement les politiques monétaires de la Banque centrale européenne, inspirées jusqu'à la caricature des grands principes ultralibéraux, mais s'attarde surtout sur les moyens à mettre en œuvre pour en sortir. Constatant que « sauf miracle, le jeu traditionnel de la négociation ne pourra permettre aucun changement radical de la politique monétaire », Guillaume Etievant et le PG proposent une stratégie pour la France : rester dans la zone euro, mais désobéir aux règles monétaires de Bruxelles en autorisant la Banque de France à prêter au Trésor public, c'est à dire à l’État.

 

Le parti de Jean-Luc Mélenchon ne souhaite pas l'explosion de la zone euro, et encore moins sortir unilatéralement la France de l'eurozone, pour une raison principale : il faut, selon lui, une politique monétaire coordonnée à l'échelle de plusieurs pays afin d'éviter l'isolement et les politiques de rigueur. Guillaume Etievant ajoute que « l’obsession pour la sortie de l’euro », qui consiste à présenter cette solution comme un « remède miracle » est un « danger politique ». Pour autant, le PG est prêt à assumer cette désobéissance, quitte à ce que la France soit exclue de la zone euro par les autres États.

 

La position du PG n'est pas nouvelle, mais ce texte me donne l'occasion d'exprimer plusieurs points d'accord et de désaccord, tant sur le problème monétaire que sur celui, plus global, de la souveraineté.

 

Premier point d'accord : la question de l'euro ne fait pas tout, loin de là. L'Union européenne repose sur deux piliers : un ordre juridique et un ordre monétaire, tous deux voués à l'ultralibéralisme. Depuis des mois, le débat se concentre sur l'euro, et la question juridique est largement oubliée. Plusieurs raisons expliquent ce phénomène. Tout d'abord, les économistes – et c'est compréhensible – s'attardent sur les questions économiques et monétaires mais s'intéressent peu aux aspects juridiques. Ensuite, Marine Le Pen a depuis longtemps fait de la sortie de l'euro un élément fort de sa stratégie politique. Les partis se trouvent obligés de se positionner face au Front national, et sont constamment poussés en ce sens par les médias, ce qui propulse le sujet de la monnaie unique sur le devant de la scène. Enfin, et peut-être surtout, la critique de l'euro se développe aussi à droite et dans les milieux économiques orthodoxes.

 

Guillaume Etievant a raison : certains suggèrent de sortir de l'euro pour restaurer la compétitivité de la France (ou de l'Europe) sans rien vouloir changer aux règles de la concurrence internationale. Une sorte de nostalgie des Trente glorieuses et un véritable fétichisme de la croissance se retrouvent, par exemple, dans les positions de Marine Le Pen, mais aussi de Nicolas Dupont-Aignan ou de Jean-Pierre Chevènement1. Or, une sortie de l'euro qui permettrait simplement à la France de dévaluer et de mieux concurrencer la Chine ou les États-Unis n'est pas une position de gauche. Le PG a raison d'assumer son internationalisme, car l'ambition de la gauche radicale doit être, à terme, de refonder l'ordre international, et non de s'y adapter au mieux. Seule, la sortie de l'euro ne le permet pas. Il faut une double stratégie : démondialiser l'économie et développer la coopération avec les autres États.

 

Sur le volet de la démondialisation, la gauche radicale doit avoir une position claire et cohérente : il faut sortir de l'ordre monétaire et, dans le même temps, de l'ordre juridique européen. Il ne servirait en effet à rien de disposer d'une monnaie nationale s'il fallait continuer à se plier au droit européen, inscrit depuis l'adoption du traité de Maastricht dans la Constitution française. Pour gouverner à gauche, il faut que la France dénonce unilatéralement le traité de Lisbonne et les centaines de directives ou de règlements européens qui s'imposent aux États. Ceci suppose de modifier la Constitution française pour restaurer la primauté absolue du droit national. Malheureusement, même s'il invoque la « désobéissance européenne » et propose de « déroger » au droit européen, le PG se refuse pour l'instant à aller jusque là.

 

Sur le volet de la coopération, j'ai un autre point d'accord avec Guillaume Etievant : il faut essayer de coordonner les politiques monétaires. Il faut même aller bien au delà, et développer des accords de coopération commerciale et non commerciale, prioritairement avec les pays qui en ont le plus besoin2. Malheureusement, une monnaie unique ne permet pas de « coordonner les politiques monétaires », elle impose une et une seule politique à plusieurs États. Si, à un moment donné, ces États ont des objectifs politiques convergents, tant mieux ; si, par le jeu de la démocratie, ce n'est plus le cas, alors la monnaie unique est un carcan, et la loi du plus fort s'impose. La monnaie unique n'est donc pas faite pour la coopération. Elle est soit une étape dans un processus de fédération, soit un outil de domination.

 

Si je suis partisan (non-obsessionnel et clairement internationaliste) de la sortie pure et simple de l'euro, c'est avant tout pour une question de souveraineté. Un peuple souverain doit pouvoir contrôler sa monnaie comme il doit produire son droit de façon libre et démocratique. La coopération monétaire n'a jamais eu besoin d'une monnaie unique : des États peuvent très bien s'accorder sur un régime de change, comme sur bien d'autres sujets, suite à une négociation bi ou multilatérale, en signant un accord politique. Au contraire, l'union monétaire vise, comme le libre échange au niveau commercial, à évacuer le politique. Ce n'est donc pas seulement l'euro le problème, c'est le principe même de la monnaie unique, qui est une atteinte à la souveraineté populaire. Un parti comme le PG, qui veut rendre le pouvoir aux peuples, devrait être le premier à en prendre conscience.

 

Aurélien Bernier

Auteur de La gauche radicale et ses tabous (Seuil, 2014) et Désobéissons à l'Union européenne !  (en accès libre sur http://abernier.vefblog.net)

29 avril 2014

 

1Concernant le MRC, il est possible (mais regrettable) que l'absence de proposition sur une refonte de l'ordre international soit une lacune programmatique. Concernant le Front national, cette position est assumée : le parti d'extrême-droite n'a jamais envisagé de sortir du capitalisme, et souhaite au contraire défendre les intérêts du capitalisme français.

2Pour le cas de l'Europe : la Grèce, l'Espagne, le Portugal...

 

Commentaires

h-toutcourt le 20-05-2014 à 20:46:20
Hier, dans l’émission bien connue « Mots croisés » de la télévision française, le sinistre Hortefeux en remettait une couche avec l’inénarrable argument:

« La France pourrait réussir avec l’euro, et je vous le démontre: voyez l’Allemagne…! »

Réussir quoi et avec quels résultats pour la population ? Jugeons-en la réalité, plutôt que l’apparence mise en exergue par ceux qui souhaiteraient nous imposer le même régime :


LA RÉALITÉ SUR L’ALLEMAGNE ET LA FRANCE :


La France a appliqué après 1949 une politique inflationniste keynésienne alors que l’Allemagne a appliqué le dogme de l’école autrichienne. Résultat sur la richesse patrimoniale après tant d’années:

Les statistiques internationales (cf Piketty: Le capital au XXIe siècle) confirment que, partant après la guerre d’un capital national détérioré équivalent à 250-300% chacun en termes de revenu national annuel, la France est remonté à 600%, contre 400% seulement pour l’Allemagne !


OÙ LE PATRIMOINE MÉDIAN DE LA POPULATION EST-IL LE PLUS BAS EN EUROPE ?

… EN ALLEMAGNE !


Voici, en valeur absolue (euros), le rapport original de l’étude récente de la BCE tant commentée par les médias avec une gêne évidente, concernant le patrimoine net des ménages en zone euro: http://www.ecb.europa.eu/pub/pdf/other/ecbsp2en.p…

Le patrimoine ou NET WEALTH (Richesse nette, c.a.d. moins les dettes) comporte bien, en effet:

- Real Assets (dont real estate assets, c.a.d. immobilier)

- Financial assets (avoirs financiers)


Patrimoine médian PAR MÉNAGE (Zone euro)

Luxembourg: 398 KE

Chypre: 267 KE

Malte: 216 KE

Belgique: 206 KE

Espagne: 183 KE

Italie: 173 KE

France: 116 KE

Paysbas: 104 KE

Grèce: 102 KE

Slovénie: 101 KE

Finlande: 85 KE

Autriche: 76 KE

Portugal: 75 KE

Slovaquie: 61 KE

ALLEMAGNE: 51 KE


Patrimoine médian PAR PERSONNE :



Belgique: 95 KE

Espagne: 70 KE

Italie: 70 KE

France: 55 KE

Pays bas: 47 KE

Finlande: 45 KE

Grèce: 42 KE

Autriche: 40 KE

Portugal: 30 KE

ALLEMAGNE: 30 KE


On comprend que ce rapport ait fait scandale en Allemagne!

Qu’a donc fait l’Allemagne de l’Ouest de tous ses excédents commerciaux durant toute la deuxième moitié du XXe siècle ?

La réponse a malheureusement été donnée par Gaël Giraud et Cécile Rouard dans leur livre (Le facteur douze):

« les ménages allemands possédant plus de 100 millions d’actifs sont au nombre de 900, juste derrière les USA avec 3000, (contre 300 en France) », soit le nombre proportionnellement le plus grand de ces très riches parmi toute la population mondiale, faisant désormais de l’Allemagne le pays le plus inégalitaire des grands pays développés!

Là encore, un fait qui est soigneusement dissimulé par la doxa libérale qui nous engage à suivre ce modèle: les excédents allemands s’exercent au détriment des bas salaires et viennent gonfler la fortune des actionnaires d’entreprises (ce qui explique pourquoi on ne voit rien dans le patrimoine moyen qui intègre indistinctement les deux).

On ne s’étonnera pas, après tout cela, que Alain Minc ait pu pousser ce cri du coeur dans le titre de son dernier livre: « Vive l’Allemagne » !

En un mot, l’Allemagne est avant tout excédentaire… parce que l’allemand médian n’est pas en mesure de consommer !


OÙ LE CHÔMAGE (RÉEL) ÉLEVÉ EST-IL LE PLUS DISSIMULÉ ?

… EN ALLEMAGNE !

(http://www.wsws.org/en/articles/2011/11/unem-n12.html)

UNEMPLOYMENT IN GERMANY : Appearance and reality


Last week the Federal Employment Agency (BA) reported a further decline in unemployment in Germany. In fact, the BA statistics have relatively little to do with social reality.


CHÔMAGE RÉEL


A closer look at the BA statistics reveal that more than a million unemployed are not included in the official jobless figures. Some 376,000 unemployed people older than 58 years are not included in the statistics, together with nearly 190,000 persons employed in one-euro-per-hour jobs. In addition, more than 300,000 people engaged in various forms of vocational training and “occupational integration” schemes do not appear in the statistic. The same applies to the over 320,000 registered unemployed due to health problems.

Also missing from the official figures are those unemployed persons whose benefits were cut off for one reason or another. In 2010 the number of penalties imposed by the employment authorities increased by 14 percent nationwide compared to the year before. This year the BA expects to issue nearly a million such penalties.

In 2010 the number of penalties imposed by the employment authorities increased by 14 percent nationwide compared to the year before. This year the BA expects to issue nearly a million such penalties.


It is only on the basis of such statistical trickery that the BA arrives at the relatively low unemployment rate for Germany compared to other countries.

If one considers the total number of benefits recipients, the official figure swells enormously—bearing in mind that this total does not include the jobless who, for various reasons, draw no benefits.


Furthermore, according to the BA’s preliminary estimate for October, over 5.1 million employed people between the ages of 15 and 65 years drew unemployment benefits.

These recipients have jobs of one description or another, but their incomes are so small they qualify for unemployment benefits. This group includes 1.4 million people who are part-time, limited contract employees, or so-called “mini-jobbers”, who earn at most €400 ($US 550) per month, 230,000 part-time employees in other categories and around 320,000 people who actually work full-time, but earn less than the miserly basic unemployment payment, despite working a 40-hour week.

The BA report reveals a good deal about current rates of unemployment benefits (Hartz IV payments). In June 2011, 6.2 million people in 3.4 million families received Hartz IV benefits. In these families, an average of 1.9 people received only €672 ($US 925) for their basic needs, i.e., around €340 ($US 468) per month, per person.


EMPLOIS SOUS-PAYÉS


A high percentage of those who slip through the employment statistics are immigrant youth or young women. Munk refers to these young people as a “reserve army of the disadvantaged in the labour market.” These young men and women are eventually forced to accept the worst-paid forms of work.

It is not surprising therefore that the number of low-wage earners in Germany is growing steadily. According to a study released by the Prognos AG research company, some 1.2 million people earn less than €5 per hour and 5 million people earn less than € 8.50 per hour (gross).

If one assesses the low-wage sector by international standards (which defines a “low wage” as less than two-thirds of the average), then nearly one in four full-time employees (22.8 percent) in Germany earns a poverty wage. This amounts to nearly 10 million workers.


The official number of poor people in Germany is also growing steadily. In 2009 the Federal Statistical Office classified approximately 12.6 million people as poor. Those most affected by poverty are the unemployed and single parents.

The growth of poverty in Germany is largely due to the policies of the Social Democrat (SPD)-Green coalition government led by Chancellor Gerhard Schröder (SPD), which in 1998 implemented the biggest social cuts in Germany since the Second World War.

High unemployment, a rapidly growing low-wage sector and major cuts in social spending have set in motion a social disaster that will only deepen as the current crisis unfolds. The official statistics try to disguise and gloss over this. But unlike statistics, one cannot falsify the real experiences of millions of people.



Serge Olivier le 16-05-2014 à 10:58:03
Bonjour

Pourquoi donc cette référence en forme de critique acerbe à l'endroit des trotskystes ? Les anciens maoïstes, de la CIMADE au GISTI, n'ont-ils pas colporté aussi par exemple l'idée d'une immigration sans problème ? Ne hantent-ils pas les lieux de pouvoir ? Et les ex-staliniens, n'en trouve-t-on jusques et y compris au PS ? Etc. Leur passé politique n'est pas suffisant pour les agonir de critiques, d'autant que tout cela est bien approximatif. Par exemple, une revue telle que "Utopie critique", venue à l'origine de trotskystes, était plutôt "souverainiste"…
h-toutcourt le 14-05-2014 à 22:16:37
MONNAIE FORTE ET IDÉES COURTES


Durant toute l’après guerre, on n’a cessé à propos du mark, en France et ailleurs, de confondre monnaie forte et fort pouvoir d’achat, ce qui n’a rien à voir: le mark ne se dévaluait pas, mais les (bas) salaires ne s’évaluaient pas non plus !

C’est ce dont on constate aujourd’hui le résultat dans le revenu disponible des ménages, et surtout le faible patrimoine accumulé en Allemagne… (cf commentaire du billet précédent)

Il devrait en être d’autant moins ainsi en Allemagne qu’une démographie qui diminue partage ses acquis entre moins d’enfants !


On est également resté sur la légende bismarckienne que les Allemands avaient le même système social que nous, avec les mêmes avantages sociaux, ce qui est loin d’être le cas:

Ainsi, on ne nous dirait pas aujourd’hui que les allemands veulent un euro fort pour leurs retraités si ceux-ci étaient sous le régime de répartition français, qui est insensible aux évolutions de la monnaie, ce qui n’est pas le cas de la capitalisation !


Dans la préparation de l’euro, vu comme euro-mark, on a donc largement sur-évalué ce qu’était le réel pouvoir d’achat intérieur allemand.

En conséquence, la conversion en euro(-mark)s hors zone mark fut sur-évaluée d’autant, ce que la monnaie unique a traduit immédiatement en enchérissement des biens et patrimoines hors zone mark.

Concernant les biens fabriqués, c’est très mauvais pour la compétitivité et donc pour l’emploi.

Mais concernant les patrimoines, c’est très bon pour ceux qui en ont… C’est en partie la raison de surprenants « nouveaux riches » chez certains propriétaires méditerranéens.

Et c’est d’autant meilleur qu’ils sont élevés… C’est l’explication de l’entêtement de certaines classes possédantes (armateurs grecs, artistes et intelligentzia internationale, etc.) à ne pas vouloir quitter l’euro: contrairement à ce qui est dit dans les médias complaisamment , ce n’est pas parce que la dette s’enchérirait, ce qui est faux (cf Jacques Sapir sur http://russeurope.hypotheses.org/1639), mais bien parce que ceux-là verraient leurs biens fortement dévalués à l’international !
h-toutcourt le 13-05-2014 à 19:18:49
Un autre livre vient de paraître qui fait le tour de ces questions (et bien d'autres), en formulant un jugement sans appel... pour qui sait lire entre les lignes.

C'est celui de Frédéric Lordon (La malfaçon, LLL, mars 2014), dont voici quelques extraits:


QUESTIONS DE CADRE


"Il y a des simplifications auxquelles il faut résister, mais il y en a parfois de bienvenues. Gauche et droite, c'est une affaire de cadre, de rapport au cadre.

Voilà donc peut-être comment il faudrait dire les choses plus justement: l'alternance UMP-PS n'est rien d'autre que celle de la droite décomplexée et de la droite complexée.

Le cadre actuel est parfaitement visible et connu de tous. C'est le cadre européen de Maastricht-Lisbonne."


DE QUOI S'AGIT-T-IL ?


"Que le peuple souverain puisse décider et réviser à sa guise, c'est ce que les puissances qui dominent la construction européenne ne veulent plus, à aucun prix...

Il faut donc redire la possibilité du national contre les fausses évidences de ses disqualifications, contre les faux verdicts de fatalité qui la vouent aux pires des nationalismes xénophobes...

Mais il faut surtout sortir de cette mortelle antinomie du "nationalisme" et de "l'internationalisme", cette hystérisation symétrique qui ne parvient plus à penser le minimum de complexité de leur articulation.

De sorte que l'internationalisme abstrait, prêt à pactiser avec le néolibéralisme pour le seul motif d'accomplir d'abord le "dépassement post-national" quel que soit le contenu dudit dépassement, est devenu le pire ennemi de l'internationalisme, là où la préoccupation nationale bien comprise pourrait être, sans le moindre paradoxe, son meilleur véhicule.

De la même manière qu'il serait opportun de purger le débat économique du mot réforme, il faudra bien un jour débarrasser le débat politique de "faire le jeu", cette objection-écran bien faite pour ne jamais poser les problèmes: envisager la démondialisation, par exemple, c'est "faire le jeu du FN"...

Et puis l'on entendra inévitablement, d'exaspération et de panique mêlées, les rappels au front uni, à la hauteur des enjeux et à l'irresponsabilité de dénoncer la "gauche de droite", qui plus est "à ce moment-là", plutôt que de réserver ses traits à la droite tout court (qui n'est pas de gauche).

Mais que la droite soit, elle, conforme à son concept, il n'y a pas grand chose à objecter, juste à la combattre - mais en étant de gauche. C'est que "la gauche" devienne de droite l'anomalie qui crève les yeux et - paradoxe oculaire - finit par se voir. Il faut donc prendre au pied de la lettre les inquiets qui ne jurent que par le salut de "la gauche": ils veulent réserver la critique à la droite? C'est parfait: c'est toute la droite-du-cadre, et elle seulement, qui y aura droit."

(Frederic Lordon)




LORDON, LUI AUSSI, PIÉGÉ...

SUR LES MILLE ET UNE FAÇONS DE TUER JAURÈS !


Par un texte intitulé fièrement « Ce que l’extrême droite ne nous prendra pas », Frédéric Lordon reprend dans son dernier livre ces passages déjà parus sur son blog (La pompe à phynance, Blogs du Diplo):


« Contre l’armée de réserve des sans-papiers: LA RÉGULARISATION… :

Ainsi… la nouvelle empathie pour les travailleurs immigrés revient-elle périodiquement souligner que l’immigration irrégulière constitue une « armée de réserve » prête à s’employer aux pires conditions, et vouée par là à faire une concurrence déloyale aux salariés réguliers (nationaux), notamment à tirer vers le bas les salaires.

On fera observer à Marine Le Pen qu’on règle très facilement le problème de la sous-armée de réserve des clandestins: par la régularisation intégrale! Plus de clandestinité, plus de vulnérabilité, plus de chantage patronal, plus de salaires de misère… Les régularisés auront les mêmes salaires et les mêmes droits que les nationaux et les résidents légaux – auxquels ils appartiendront -, cessant par là même de créer cette poche de sous-salariat dépressionnaire qui produit objectivement tous ses effets de dumping social intérieur…

On ne voit pas au nom de quoi la gauche devrait abandonner l’idée de la nation ouverte, jouant le sol contre le sang, assise sur la citoyenneté et sur elle seule, qui lui a été léguée… par la Révolution:

- Tout homme né et domicilié en France, âgé de vingt et un ans accomplis, qui est domicilié en France depuis une année – y vit de son travail – ou acquiert une propriété – ou épouse une française – ou adopte un enfant – ou nourrit un vieillard; tout étranger, enfin, qui sera jugé par le corps législatif avoir bien mérité de l’humanité, est admis à l’exercice des droits de citoyen français.

C’est l’article 4 de la Constitution de 1793, la Constitution de la Convention, la Constitution de Robespierre… »


Au seul nom de Robespierre, nonobstant les réserves de certains, le républicain tend à s’incliner devant l’intégrité personnifiée. Le procédé serait presque déloyal! Et pourtant… c’est moins Robespierre qui est ici en cause que la reprise inappropriée de son propos dans un contexte, deux siècles plus tard, qu’il ne pouvait évidemment prévoir.


Reprenons, en effet, l’argument-clé de Lordon :

« …la régularisation intégrale! Plus de clandestinité, plus de vulnérabilité, plus de chantage patronal, plus de salaires de misère… cessant par là même tous ses effets de dumping social intérieur… »

Mais non! Le clandestin (et l’immigré démuni, de façon plus générale), n’étant utilisé que pour son bas coût et sa surexploitation possible, perd tout intérêt dans le système libéral actuel, si ce n’est plus le cas ! Il devient même alors désavantagé, la plupart du temps (langue, formation, us et coutumes, etc.)

Il ira donc rejoindre d’emblée la cohorte des nombreux sans-emploi et, sans aucun droit au chômage, finira, ses premières ressources épuisées,… à la charge des secours sociaux ou même SDF !


Ce que l’extrême droite ne nous prendra pas…

c’est L’INTERNATIONALE LIBÉRALE ???


Il est symptomatique que notre meilleur pamphlétaire du néolibéralisme puisse s’arrêter ainsi dans son raisonnement… sur le pas de porte !

Car qu’est-ce que le (néo)libéralisme sinon, par définition, la libre circulation des capitaux, des marchandises, ET de la main d’oeuvre…


Sur le premier aspect, notre auteur a fourni une ample contribution critique : Et la vertu sauvera le monde…(mai 2008), Jusqu’à quand ? (nov 2008), etc.

Sur le second, il est un des rares à transgresser le tabou : le protectionnisme et ses ennemis (2012).

Mais sur le troisième, ça coince ! A l’approche du but, sa monture se cabre, refuse d’avancer… Va de retro Satanas ! Car une part du terrain fut de longue

date le « camp de base » du FN, même si sa nouvelle figure de proue s’en est extraite pour faire le long chemin inverse en direction de « la gauche critique ».

Rien n’y fait, le réflexe pavlovien est là : « c’est un piège », « on nous prend notre électorat ». Du coup, on perd tous ses repères : « si c’est midi à leur montre, c’est qu’il doit forcément faire nuit à la notre », etc.

Et d’invoquer l’internationalisme de Marx :

« Prolétaires de tous les pays, unissez-vous » !

Mais Marx n’a jamais dit : « Prolétaires de tous les pays, concurrencez-vous » ! C’est pourtant ce à quoi conduit l’internationalisme trotskyste mal compris, ou plutôt mal transposé à notre époque :

C’est ainsi que l’on voit Besancenot tancer JLM en lui reprochant son nationalisme étroit…

Le PC et JLM lui-même vont jusqu’à critiquer la logique de Jacques Sapir, au nom des meilleures intentions. Ça donne le spectacle étonamment rare d’un Mélenchon s’accrochant à l’euro, comme on peut le suivre en video sur : http://russeurope.hypotheses.org/14...


Quant à l’invocation de la Constitution de 1793, celle de Robespierre, tous deux se situaient en un temps où la richesse était essentiellement agricole… et ne demandait que de nouveaux bras, le libéralisme n’existant pas encore… et pour cause, où la population mondiale était sept fois moindre, sans compter l’absence ou la cherté de moyens de transport lointains limitant sévèrement l’immigration transfrontalière…!


On pourrait presque conclure : « Ce que l’extrême droite ne nous prendra pas : c’est l’euro…libéralisme ? ». Ou peut-être encore, pour citer une référence de circonstance, et d'envergure au moins égale à celle de Robespierre:

Ce que l’extrême droite ne nous prendra pas…

c’est « L’INTERNATIONALE DE LA MISÈRE » ???


Témoin, en effet, l'extrait déjà donné de la motion défendue par le député de Carmaux JEAN JAURÈS, lors de séance parlementaire du 8 mars 1887 :

« Je dis que lorsqu’on vient acheter sur le marché français des produits agricoles, du blé, par exemple, qui ont été obtenus par des travailleurs réduits à un salaire dérisoire, c’est exactement comme si on jetait dans les campagnes de France, pour faire concurrence à nos paysans, les ouvriers qui au dehors travaillent à des salaires dépréciés. Et voilà pourquoi, pour ma part, je ne me refuse nullement à protéger l’ensemble de la production agricole ; mais j’ajoute : à condition – et vous vous y êtes engagés vous-mêmes – que par des mesures complémentaires vous assuriez à la communauté rurale, à ceux qui travaillent véritablement, le bénéfice exclusif de cette mesure. Voilà pourquoi, lorsque vous aurez voté les surtaxes que vous préparez, nous viendrons vous demander d’en assurer directement le bénéfice aux travailleurs des champs. »



» De même, nous protestons contre l’invasion des ouvriers étrangers qui viennent travailler au rabais. Et ici, il ne faut pas qu’il y ait de méprise :

Nous n’entendons nullement, nous qui sommes internationalistes… »

[Rumeurs et interruptions sur divers bancs]

« Vous entendez bien que ce n’est pas nous qui voulons éveiller entre les travailleurs manuels des différents pays les animosités d’un chauvinisme jaloux ; non, mais ce que nous ne voulons pas, , c’est que le capital international aille chercher la main d’oeuvre sur les marchés où elle est le plus avilie, humiliée, dépréciée, pour la jetter sans contrôle et sans règlementation sur le marché français, et pour amener partout dans le monde les salaires au niveau des pays où ils sont les plus bas. »

[Applaudissements]

« C’est en ce sens, et en ce sens seulement, que nous voulons protéger la main d’oeuvre française contre la main d’oeuvre étrangère, non pas, je le répète, par un exclusivisme d’esprit chauvin, mais pour substituer l’internationale du bien-être à l’internationale de la misère. »

[Applaudissements à l’extrême gauche. Mouvements divers]
h-toutcourt le 13-05-2014 à 18:47:11
L'universalisme n'est en rien un internationalisme inconditionnel !


Il est en effet frappant que des figures de proue de cette "gauche" (sociale-)libérale, devenue "la droite complexée" selon l'heureuse expression de Lordon, soient d'anciens trotskistes que l'internationalisme a fait glisser sans effort apparent vers le néolibéralisme le plus orthodoxe, comme une sorte d'ultime rédemption qu'ils croient ainsi trouver par référence à leurs anciennes amours: c'est aggraver encore leur cas, tant il est vrai pour ceux-là qu' "après l'heure, c'est plus l'heure"!

Tel est le cas le cas de figures emblématiques du PS (Cambadélis, Jospin, Moscovici, ), mais on pourrait en ajouter beaucoup d'autres, à l'image de Weber (auquel Sapir adressait récemment une lettre-ouverte-réponse bien sentie http://russeurope.hypotheses.org/22...)


J'ai d'autant plus apprécié la pertinence du livre "LA GAUCHE RADICALE ET SES TABOUS", plus spécifique encore, qui vient illustrer à point nommé en quoi, avec l'approche imminente des élections européennes, on doit dire à ceux restés encore à gauche: "avant l'heure, c'est pas l'heure"!


Le livre identifie en effet trois tabous:

- le tabou protectionniste

- le tabou anti-européiste

- le tabou souverainiste


Pour celui qui ne veut pas se tromper et ne retenir que des éléments concrets, c’est toute l’économie néolibérale qui est ainsi mise en cause ! Car il n’est pas besoin d’être grand économiste pour noter que ces trois tabous recouvrent notamment les trois objets du non-interventionnisme constituant le dogme du libéralisme, c'est à dire la libre circulation de:

- marchandises,

- capitaux

- main d'oeuvre


Stiglitz ne disait-il pas dans son dernier ouvrage ("Le prix de l'inégalité") que l'internationalisation a «circonscrit la démocratie»:

«La compétition entre les pays pour l’investissement prend de nombreuses formes – pas seulement la baisse des salaires et l’affaiblissement de la protection des travailleurs. C’est une course vers le bas globale qui assure que les règlementations sont faibles et les impôts bas...

Avec le capital très mobile – et les droits de douanes bas – les entreprises peuvent simplement dire aux travailleurs que s’ils n’acceptent pas des salaires plus bas et des conditions de travail moins bonnes, l’entreprise ira ailleurs.»


Et Jacques NIKONOFF ne tirait-t-il pas les conclusions qui s'imposent aujourd'hui...

SUR LE VÉRITABLE INTERNATIONALISME :

« ’L’espace mondial est entièrement dominé par les puissances d’argent : les grands médias planétaires, les firmes multinationales dont les grands établissements financiers, les institutions multilatérales (FMI, OMC, UE, Banque mondiale, OTAN). Le peuple est absent et n’a pas voix au chapitre. Ce n’est donc pas à cette échelle que des mesures contraires à l’intérêt des possédants pourront être prises. Certes, il faut poursuivre la lutte et les efforts de convergence entre toutes les forces à l’échelle mondiale. Mais ce n’est pas pour demain. En attendant, le seul espace où il reste encore un peu de démocratie et où le peuple existe est celui de la nation. C’est la raison pour laquelle nous considérons que la priorité du combat politique doit être la lutte pour l’indépendance nationale. Comme au temps de la décolonisation avec les mouvements de libération nationale. Cette lutte doit concerner toutes les nations et tous les peuples pour bâtir un nouvel ordre mondial débarrassé du néolibéralisme, un ordre internationaliste. »

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Il est donc plus simple d’abandonner une fois pour toutes le sophisme de « l'internationalisme » bienfaiteur, plutôt que de prétendre le préserver en y ajoutant constamment des rustines ad-hoc dont l’énuméré de la liste devient plus long que le principe allégué lui-même.

Certains préfèrent attendre le grand soir trotskiste du "socialisme dans tous les pays". Ils risquent de l'attendre longtemps, si l'on en croit Audiard qui faisait dire à Biraud et Aznavour à propos de Ventura, dans "Un taxi pour Tobrouk":

- mieux vaut une brute qui marche que deux intellectuels assis !


En 1789, la révolution n'aurait pas vu le jour si les sans-culottes n'avaient pas repoussé les armées de l'Europe monarchique massées à leurs portes pour la faire échouer... Aujourd'hui, ce sont les armées de la pseudo-intelligenzia internationaliste qui se pressent pour faire feu de tous bois, au premier rang desquels la "droite complexée" que constitue le PS:

Ainsi, ne voit-on pas à l'étal des librairies, à quelques semaines du scrutin européen des titres d'auteurs dont la concomitance et le libellé ne doivent rien au hasard:

Guiguou: "Europe", sous-titré: "Les défis à venir de la première puissance économique mondiale" !

ou encore:

Jospin: "Le Mal Napoléonien" !

Le clin d'oeil à tous les internationalistes crédules est clair:

Vive la nouvelle Internationale... libérale !


On ne peut que rappeler l'aveu célèbre d'Alain Touraine:

"Le mot libéral étant devenu imprononçable, on en a inventé un autre, le mot Europe!"

Croire qu'on peut composer avec ce projet néolibéral depuis l'origine qu'est l'Europe des marchands et des lobbies, c'est se jeter tout droit dans les bras de Pascal Lamy qu'il fallait entendre sur la chaîne parlementaire, il y a quelques jours, vantant les mérites de Schröder et des petits boulots sous le SMIC nécessaires à la COM-PÉ-TI-TI-VI-TÉ... au moment où Merkel évoluait timidement vers un SMIC allemand a minima !


De même concernant l'euro, sur lequel la position de JLM semble toujours partagée (vieille réminiscence socdem de son passage au PS, sans doute...), alors même qu'un ancien économiste PS de la plus belle eau, devenu membre du Conseil général de la Banque de France par la grâce de Jean-pierre Bel, publie dans sa chronique d'hier sur Charlie-hebdo:

« Je vire ma cuti. J’ai voté oui à Maastricht, oui au traité constitutionnel.

Aujourd’hui, je pense qu’il faut quitter la zone euro. » (Bernard Maris)

L’Allemagne tirant l’euro vers le haut par son dogme de l’orthodoxie monétaire et son entêtement suicidaire, l’euro se trouve surévalué pas seulement pour les pays d’Europe du Sud, rappelait déjà Oncle Bernard:

"Les allemands ont réussi à s’appauvrir avec Schroeder, qui décida de casser les salaires et de baisser les impôts des firmes pour rendre l’industrie encore plus compétitive.

Résultat: l’Allemagne rééquilibre son budget, devient super-exportatrice… et son niveau de vie s’effondre. Elle ne consomme plus" [si tant est qu'elle ait jamais consommé... (cf son rang de dernier en zone euro pour le patrimoine médian!)]


Enfin, last but not least, rappelons le pêché originel de l’eurolibéralisme, créature de la mondialisation libérale et parodie risible d’un mot d’ordre détourné :

- Prolétaires de tous les pays, concurrencez-vous !

Quand la gauche va-t-elle enfin dénoncer le libéralisme dévastateur pour ce qu’il est, exploitation de la « libre » circulation des capitaux, des marchandises, ET de la main d’oeuvre ?

Comme à l’époque de l’esclavage, on subit une sorte de « commerce triangulaire »:

Exportation et investissement des capitaux dans les pays à bas salaires, exploitation sur place concurrençant les pays aux acquis sociaux (et fiscaux) plus avancés, et inversement importation de cette « misère du monde » faisant pression sur ce qui reste de prospérité acquise, chez nous, par nos ainés…

Il ne devrait plus, sous peu, nous en rester beaucoup !

Car, dans les deux cas, par le biais de l’internationalisme libéral, on condamne respectivement les travailleurs des deux camps à la stagnation et à la régression !

La généralisation à tous les pays de cette logique, c’est la course mortelle au moins-disant, l’inverse du développement et de la croissance:

- moins de revenus et de prestations sociales pour les travailleurs

- moins de cotisations et d’obligations sociales pour les patrons, ce qui revient au même… (et que nous vivons en ce moment précis)

Comme l’avait fort bien décrit S. Halimi dans son ouvrage monumental “Le grand bond en arrière”, c’est la ruine de toutes les conquêtes sociales depuis le XIXe siècle.

Et surtout ne pas faire d'anachronisme sur l'époque, non encore venue, en invoquant l'internationalisme trotskyste, comme dans le discours de JLM à Marseille à l'intention de tout le Maghreb: "Plus on est de fous, plus on rit!" (sic)

Résultat: d'un 16% en pleine ascension pour concurrencer le FN... redescente à 11%, pour ne plus en bouger.

Prière de ne pas recommencer la même erreur... s'il est encore temps !