Extrait de Désobéissons à l'Union européenne ! (2014) - Même si elle s’est considérablement affaiblie au fur et à mesure que progressait la droite ultralibérale, il existe toujours en France une droite républicaine qui se revendique du « gaullisme social ». Incarnée par Jacques Chaban-Delmas, puis par Philippe Séguin et aujourd’hui par Nicolas Dupont-Aignan, elle défend la démocratie sociale. Il n’existe pas dans son discours de remise en cause réelle du capitalisme, mais une dénonciation du « mauvais capitalisme », qui serait une forme déviante d’une idéologie qui n’est pas condamnable en soi. Les valeurs du gaullisme se traduisent notamment par le souci d’indépendance de la France sur la scène internationale, la défense de l’ordre et de la justice sociale, la souveraineté populaire, le tout nécessitant un pouvoir exécutif fort.
Debout la République (DLR) est le principal parti politique se revendiquant du gaullisme « authentique ». Il est présidé par le député de l'Essonne Nicolas Dupont-Aignan. Ce courant du Rassemblement pour la République (RPR) puis de l’Union pour un mouvement populaire (UMP), formé en 1999, est devenu un parti politique en tant que tel lors de son congrès fondateur du 23 novembre 2008. Le 9 mai 2004, la motion de DLR hostile à la ratification du projet de Traité établissant une constitution pour l’Europe (TCUE) obtenait 19,7 % au Conseil national de l’UMP. Pourtant, DLR ne déposait pas de motion défendant le « non » au projet de Constitution européenne, et le 6 mars 2005, la motion « L’Europe mérite un Oui » qui soutenait l’ultralibéral traité européen réunissait 90,8 % au sein de l’UMP.
Un an jour pour jour après le « non » français au Traité établissant une constitution pour l’Europe, le courant gaulliste publiait un « Manifeste des Européens pour une autre Europe ». Ce document de onze pages précise les grandes orientations figurant dans le programme politique. Il est composé de deux parties : une première consacrée au constat et une seconde formulant des propositions. Au niveau du constat, la distinction entre l’idéal européen et la construction politique « Union européenne » est bien faite : « Quand on débat d’Europe, encore faudrait-il savoir de quoi on parle ! Évoque-t-on l’idéal de coopération et de rapprochement entre les peuples – qui fait l’unanimité – ou le fonctionnement du super-État que l’on s’acharne contre vents et marées à imposer aux Européens ? » Mais en focalisant sur la perte de souveraineté nationale qui serait due à un « emballement fédéral », DLR oublie de dire qui est ce « on » qui impose l’eurolibéralisme. L’analyse économique se borne à critiquer le libre-échangisme de l’Union européenne et sa politique monétaire technocratique qui tueraient la croissance. Mais les républicains de droite ne vont pas jusqu’au bout du raisonnement et ne présentent pas l’Union européenne telle qu’elle est : une construction au service des classes dominantes qui n’est pas guidée par un aveuglement fédéraliste, mais bien par un projet politique ultralibéral cohérent.
La seconde partie, intitulée « Construisons maintenant l’Europe du bon sens », souhaite renouer avec l’Europe confédérale chère au général de Gaulle. Cette Europe « à la carte » émergerait d’une profonde réforme institutionnelle. La Commission deviendrait une « structure administrative de mission chargée de réfléchir aux intérêts communs des Européens et de garantir la diversité culturelle et linguistique ». Pour les questions juridiques et monétaires, « le domaine d’action de la CJCE1 serait étroitement encadré par le traité, et l’institution serait chapeautée par une Cour de cassation composée de magistrats nationaux pour éviter l’extension sans fin d’une jurisprudence proliférante et incontrôlée. La Banque centrale européenne serait encadrée par un Conseil des ministres de l’euro ». Enfin, « une seconde Chambre européenne serait instaurée, composée de représentants des Parlements nationaux : elle préparerait et accompagnerait les négociations des États membres sur les décisions prises à la majorité qualifiée et aurait le dernier mot sur le Parlement européen en matière de codécision ». Limitée géographiquement, cette Europe protégerait ses marchés pour retrouver la croissance et la compétitivité et engagerait des projets à la carte en matière de recherche, de défense ou de culture. Dans ce manifeste de 2006, la droite gaulliste n'était donc pas beaucoup plus téméraire que la gauche socialiste, conditionnant toute perspective de changement à l'impossible ratification d’un nouveau traité européen.
À la fin des années 2000, pourtant, le discours se précise. Suite au déclenchement de la crise financière en 2008, DLR abandonne l'idée de réformer la monnaie unique et devient partisan d'un « démontage » de l'euro, c'est à dire d'une sortie concertée. Le 28 juin 2012, le parti gaulliste publie un « plan de secours alternatif pour l'Europe ». Certaines recettes économiques proposées dans ce document et dans le programme du parti sont tout à fait intéressantes, puisque DLR propose de monétiser la dette publique ou de réintroduire « des monnaies nationales qui permettront des ajustements de parité ».
Au niveau juridique, le discours se radicalise également : « Plutôt que de chercher à transformer des traités qui ne sont pas réformables, nous proposons donc de dénoncer l’ensemble des traités européens. Ils sont illégitimes depuis le non des peuples au référendum de 2005 [...]. L’objectif est de bâtir une nouvelle Europe des États et des coopérations, dans le cadre d’un traité simplifié et limité aux questions de l’organisation des pouvoirs. » Mais DLR se refuse encore à écrire l'élément le plus important de tout programme de rupture avec l'Union européenne : puisque une sortie concertée, à vingt-huit États, de l'ordre juridique et monétaire européen est illusoire, cette sortie doit être unilatérale.
Il existe par ailleurs un problème de fond, que l'on retrouve également chez des souverainistes de gauche comme Jean-Pierre Chevènement : les mesures proposées s'inscrivent dans la perspective de redresser la compétitivité de la France dans la concurrence internationale. Le projet politique n'est pas de sortir de cette concurrence pour instaurer un nouvel ordre mondial basé sur la coopération. Il n'est pas de rompre avec le capitalisme, mais seulement avec ses excès. Ainsi, le « plan de secours alternatif pour l'Europe » de DLR prône un contrôle temporaire des mouvements de capitaux alors que ce contrôle doit au contraire être permanent. Il propose une réduction de 4 points des dépenses publiques (52 % contre 56 %) alors que la satisfaction des besoins sociaux et les politiques environnementales nécessitent au contraire une forte augmentation. Le positionnement des gaullistes est d'ailleurs cohérent : sans contrôle des mouvements de capitaux, leur taxation ne peut être fortement augmentée, et dès lors, les dépenses publiques doivent être contenues ou réduites. Mais de fait, ce programme ne permet pas de redresser le partage de la valeur ajoutée au profit des salariés et au détriment des détenteurs de capitaux. Il ne permet pas de financer des politiques sociales ambitieuses, sauf à ce que la France dope ses exportations en recourant au dumping, comme le capitalisme allemand a su le faire. Il s'agit finalement de reconstruire un compromis social proche de celui qui existait durant les Trente Glorieuses. En théorie, ce compromis serait une grande avancée, bien qu'insuffisante, par rapport au désastre eurolibéral que nous subissons. En pratique, il est impossible à mettre en œuvre, car il s'inscrit dans une vision productiviste que les crises environnementales ont rendue totalement obsolète. De fait, il serait dangereux, car porteur de conflits entre États pour l'accès aux ressources naturelles.
1Cour de justice des Communautés européennes.
Pour lire l'intégralité du livre : http://abernier.vefblog.net/30.html#Desobeissons_a_lUnion_europeenne_en_version_actual
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Commentaires
SE MÉFIER DES CONTREFAÇONS !
Aurélien a de nombreux émules, qu’il doit (mode dubitatif autant qu’impératif) connaître:
Il y a quelques jours de cela, je commentais ironiquement le billet d'Alexis Corbière intitulé (18 avril), en notant:
Désobéir... pour sauver l'Euro(pe), nouvelle pensée unique ?
De même en ce qui concerne STEVE OHANA et son blog (au même titre que son bouquin):
http://desobeirpoursauverleurope.co...
Ses conclusions sont malheureusement typiques d’une « bien-pensance » éternellement aveugle qu’il livre au billet antécédent:
http://desobeirpoursauverleurope.co...
Cet auteur, comme certains autres, n’a pas le courage d’afficher les réponses et les conserve pour lui dans sa rubrique vide de tout commentaire, en renvoyant à chaque commentateur la mention « Votre commentaire est en attente de modération »…ad vitam éternam.
Je livre donc ici l’une des miennes:
» Il n’y a pas eu plus fervent promoteur de l’Europe actuelle et de ses impasses que le mouvement social-démocrate… auquel Ohana voudrait continuer de confier les clés d’une solution !
Pas étonnant que Jacques Attali ait préfacé son livre (que j’ai lu)…
C’est la foi des éternels « croyants », au point de se croire autorisé à inverser les rôles avec les « partis extrêmes »… que l’on accuse de ne pas voir « les rapports de force avec l’Allemagne » !
Ça se termine en apothéose avec la conclusion qui va de soi de la part de l’auteur, reprise sur son blog: « Bénéficiant du soutien d’une majorité d’Européens, ce projet alternatif mettra l’Allemagne face à ses responsabilités : soit elle s’y joindra,… soit elle prendra la décision responsable et salutaire de revenir d’elle-même au mark. Dans un cas comme dans l’autre, l’Europe sera sauvée » !
Ben voyons !
Et il ne lui est pas venu l’idée saugrenue que les classes dirigeantes allemandes pourraient dire Nein…, laissant aux autres les frais de leur extraction, si ça leur chante, de cette Europe libérale-conservatrice dans laquelle ils se sont fourrés avec entrain ? Le capitalisme allemand, revigoré par l’unification d’une « Deutschland über alles », pourra toujours compter sur une égale foi symétrique de sa population pour partir, à ses dépens, en guerre… économique, contre tout le monde ! »