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Titre du blog : Démondialiser et coopérer
Auteur : abernier
Date de création : 28-11-2007
 
posté le 28-01-2008 à 21:12:59

Pour une évaluation indépendante des OGM

Article publié dans le numéro 79 de l'Actualité Poitou-Charentes - Entretien avec Aurélien Bernier - Les effets à long terme des OGM sur la santé et l’environnement restent encore largement méconnus. Un système d’évaluation fiable et indépendant est incontournable pour se donner les moyens de répondre aux questions des citoyens.

Entretien Sarah Caillaud

 

Aurélien Bernier s’est engagé depuis plusieurs années dans le combat contre les OGM commerciaux. Il a fait ses premières armes dans l’organisation altermondialiste Attac en tant qu’animateur de la commission sur les OGM. Aujourd’hui, il est membre de la coordination régionale « vigilance OGM Poitou-Charentes » et secrétaire d’Inf’OGM (www.infogm.org). Créée pour pallier « un déficit d’information fiable et objective sur les OGM », cette association assure une « veille citoyenne ». Aurélien Bernier dénonce les méthodes d’évaluation des plantes transgéniques et soumet des idées de réforme.

 

 

L’actualité. - Pourquoi êtes-vous opposé aux OGM ?

Aurélien Bernier.- Dans l’absolu, je ne suis pas opposé par principe à la transgénèse. Si les OGM n’étaient pas brevetés, s’ils avaient un intérêt pour l’agriculture sans être contaminants, s’ils étaient correctement évalués et s’ils ne présentaient aucun risque pour la santé humaine et pour l’environnement, je ne serais pas inquiet. Malheureusement à l'heure actuelle, nous ne sommes pas dans ce cas de figure-là.

Économiquement, nous n’avons aucun intérêt à cultiver des plantes génétiquement modifiées comme le font les Américains ou les Argentins. Nous ne pourrons jamais les concurrencer sur le terrain du productivisme. La France devrait plutôt se doter d’une agriculture davantage orientée vers la qualité et valorisable localement. Ce mode d’agriculture intelligente et respectueuse de l’environnement offre des débouchés commerciaux d’avenir. La demande en produits biologiques ou labellisés par exemple est en forte croissante.

Ce qui m'inquiète le plus actuellement pour les cultures traditionnelles, c’est la contamination par les plantes transgéniques. Avec l’introduction des OGM, la contamination de filières entières est inévitable. Contester le droit à un cultivateur de produire sans OGM, d’un point de vue démocratique, ça me choque profondément. D'autant plus qu'aujourd'hui, l’impact sanitaire et environnemental des OGM commerciaux est très mal évalué.

 

Quelle est la réalité des évaluations des OGM aujourd’hui ?

Aux Etats-Unis, on applique le principe « d’équivalence en substance ». On ne fait pas de différence entre un aliment traditionnel et son équivalent OGM. Or, les plantes génétiquement modifiées ne sont pas des organismes ordinaires. Des constructions génétiques sont insérées dans les cellules de ces plantes par transgénèse, ce qui est totalement nouveau par rapport aux méthodes de sélection traditionnelles. Les autorités américaines ont volontairement occulté cette réalité. Pour évaluer l’innocuité des aliments avec ou sans OGM, on utilise donc les mêmes critères : toxicité aigüe et risques allergiques notamment. Une autre conséquence est que les aliments issus d’OGM commercialisés aux Etats-Unis ne sont pas tracés, ce qui rend impossible l’identification d’éventuels impacts sanitaires sur le moyen ou le long terme. Cette décision politique est un contresens scientifique et démocratique.

En Europe, l’évaluation des OGM se fait variété par variété, ce qui paraît à première vue plus responsable. En fait, les évaluations sont négligées et peu fiables. Toutes les études permettant l’homologation d’une variété sont effectuées par les multinationales qui les commercialisent. Ces firmes limitent au maximum le coût des études qui, en conséquence, sont le plus souvent bâclées. Plus scandaleux encore : ces entreprises se retranchent derrière le secret industriel pour ne pas communiquer une partie des résultats. Les commissions chargées de l’examen des dossiers d’autorisation (la Commission du Génie Biomoléculaire en France, l’Autorité Européenne de Sécurité des Aliments – EFSA – au niveau communautaire) s’appuient donc sur ces expertises partisanes et incomplètes.

Il est urgent de repenser ce système et de mettre en place une évaluation indépendante. Il suffirait pour cela de confier l’évaluation à la recherche publique, à condition de vérifier qu’il n’y ait pas de conflits d’intérêts entre les experts sélectionnés et l’industrie des biotechnologies. Par contre, il n'est pas question que le contribuable paye le coût de cette évaluation. Pour cela, Monsanto, Limagrain et les autres firmes souhaitant commercialiser une variété d’OGM paieraient une somme forfaitaire correspondant au coût de l’évaluation des risques. Au final, avec une telle mesure, les OGM actuellement utilisés dans l’alimentation deviendraient sans doute non rentables.

 

Les commissions d'évaluation n’ont-elles pas les moyens de demander une contre-expertise ?

Dans l’absolu, c’est possible, mais dans la pratique aucune contre-expertise indépendante n’a été demandée à ce jour. La Commission du génie biomoléculaire, chargée de l’évaluation des OGM en France, ne sort pas du cadre de sa mission déterminée par décret : elle doit dire si « en l’état actuel des connaissances scientifiques » et « sur la base des données fournies » (par les multinationales), elle estime que les OGM présentent un danger pour la santé ou l’environnement. Dans ces conditions, la réponse est évidemment non ! Au niveau européen, c’est l’Efsa (European Food Safety Authority) qui émet les avis, en suivant exactement la même logique. Ces recommandations permettent ensuite aux institutions européennes d’autoriser ou non un OGM. Il y a généralement deux étapes dans la décision. Le Conseil des ministres peut d’abord autoriser ou refuser la variété OGM s’il dégage une majorité qualifiée. Dans le cas contraire, c’est à dire à chaque fois, c’est la Commission européenne qui tranche, et elle donne systématiquement son accord à la commercialisation. Cet accord est ensuite valable dans tous les Etats membres de l’Union. Si un Etat membre veut refuser l’OGM après coup, il devra invoquer une « clause de sauvegarde » pour l’interdire sur son territoire, en apportant des preuves scientifiques nouvelles montrant un risque pour l’environnement ou la santé. C’est une véritable « usine à gaz ».

 

Vu la complexité de ces procédures d’autorisation, l’évaluation des OGM pourrait sembler rigoureuse…

Ce n’est pas le cas. Si on suivait les directives européennes et leurs critères d’évaluation à la lettre, le contrôle des plantes transgéniques avant autorisation serait très sérieux. Par exemple, la directive européenne 2001-18 relative aux conditions de culture et de mise sur le marché des OGM comporte 50 pages d’annexes sur l’évaluation. Les procédures n’ont jamais été totalement appliquées. Progressivement, on est de plus en plus laxiste et certaines exigences sont abandonnées. Par exemple, le règlement de 2003 sur l’étiquetage et la traçabilité des OGM a instauré une procédure simplifiée. Dans les étapes d’évaluation, l’avis des ministres de l’environnement (plutôt défavorables aux OGM) a été remplacé par celui des ministres de l’agriculture. Ces derniers sont plutôt pro-OGM et davantage aux prises avec le lobby agricole.

 

Pourtant, dans l’attente d’une évaluation sérieuse, le gel des cultures d’OGM a été décidé lors du Grenelle de l’environnement. N’est-ce pas une première avancée ?

Le gouvernement a enfin entendu les opposants et les citoyens qui sont sceptiques au sujet des OGM. Les décisions prises lors du Grenelle de l’environnement constituent une première avancée même si nous sommes encore loin de la révolution écologique. Le contexte a fortement fait pencher la balance. La France a suivi un mouvement enclenché en Europe récemment. L’Autriche en tête, suivie de la Hongrie, la Grèce, la Pologne et plus récemment l’Allemagne ont mis en place des moratoires contre les OGM, qui n’ont pas pu être cassés par l’Union européenne, car ils se basent sur des études scientifiques solides qui révèlent de sérieux doutes sur leur innocuité. Les Etats commencent à prendre conscience des dysfonctionnements des évaluations. De plus, pour la première fois, M. Stavros Dimas, commissaire européen à l’environnement, a pris publiquement position contre la commercialisation de deux variétés de maïs Bt produisant un insecticide. Cette contestation au niveau communautaire devra forcément aboutir à une réforme du système d’évaluation des OGM.