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Titre du blog : Démondialiser et coopérer
Auteur : abernier
Date de création : 28-11-2007
 
posté le 10-06-2013 à 19:55:51

Un écologiste peut en cacher un autre

 

 

On n’imaginait pas, il y a peu encore, de discours institutionnel ou de politique générale omettant de se référer au fameux « développement durable ». Mais, depuis la crise d’août 2008, cette notion est en passe d’être supplantée par une autre, mieux adaptée à la période : le « New Deal vert ».

 

Diffusé par les Nations unies pour « diriger les flux financiers et inciter le marché à s’occuper du plus grand enjeu planétaire de notre époque (1) », ce projet bénéficie du soutien de personnalités influentes, dont l’ancien vice-président des Etats-Unis Albert Gore (2) ou le Britannique Anthony Giddens (3), théoricien d’une très libérale troisième voie entre capitalisme et socialisme. Les écologistes ne semblent pas en reste, puisque deux ouvrages de personnalités « vertes » — qui ne représentent pas nécessairement tout le mouvement — adoptent déjà green Deal comme titre : celui du député wallon Jean-Marc Nollet (4), en 2008, et celui de l’économiste français Alain Lipietz (5), en 2012.

 

Si ce concept connaît un tel succès, c’est que, à l’image du développement durable, il ratisse large. Pour Giddens, « les marchés sont sous le feu de la critique, mais, correctement régulés, ils seront utiles pour lutter contre le changement climatique ». Nollet et Lipietz sont plus virulents pour dénoncer le « libéral-productivisme » — pour reprendre la formule de ce dernier —, mais ils assument leur approche réformiste : « Le prochain modèle sera certainement un modèle capitaliste, car il n’y a pas de candidat alternatif », affirme Lipietz.

 

Dès lors, le salut passerait par les expérimentations locales et par la réforme des institutions supranationales, Organisation mondiale du commerce (OMC) et Union européenne en tête. Mais du cadre national, il n’y aurait rien à attendre — ou si peu. C’est la raison pour laquelle l’économiste fustige toujours, sept ans plus tard, la « campagne souverainiste-nationaliste de la droite de la droite et de la gauche de la gauche » lors du référendum de 2005 sur le traité constitutionnel européen.

 

La volonté de dépasser l’Etat, qui tourne parfois à la haine de la nation, n’est pas nouvelle chez certains écologistes. En 1979, à la veille de la première élection du Parlement européen au suffrage universel, la journaliste Catherine Decouan, du mensuel La Gueule ouverte, écrivait : «  [La nation] est un territoire qui a été inventé de toutes pièces par des légistes, borné autoritairement par des frontières et constitué en vue de la guerre. (...) Cette analyse est partagée depuis longtemps par les écologistes et les régionalistes, qui préfèrent voir les Etats-nations se fédéraliser de l’intérieur et se fédérer à l’extérieur (6). » Et d’appuyer son raisonnement par des considérations physiques : « Dans la pratique, les écologistes ignorent les frontières, parce que les problèmes qui les préoccupent les ignorent aussi. »

 

Converti au fédéralisme européen en même temps qu’à l’écologie, Lipietz n’est plus l’intellectuel audacieux qui critiquait — avec brio — les renoncements de la gauche gouvernementale et les errements de la « deuxième gauche » libérale-libertaire (7). En 1984, il estimait que la France devait sortir du serpent monétaire européen, dévaluer fortement sa monnaie par rapport au mark allemand et adopter un protectionnisme intelligent. Il se déclarait même favorable, si nécessaire, à des mesures unilatérales : « Ce que nous devons chercher, c’est le moyen de poursuivre une voie de progrès économique et social, si possible avec tous nos partenaires du traité de Rome, et le cas échéant sans eux, mais avec tous les pays tiers qui le voudraient. » On comprend mal pourquoi cette stratégie serait aujourd’hui périmée. A moins que l’extrême droite, ressuscitée en France dans le milieu des années 1980, ne joue si bien son rôle d’épouvantail qu’elle incite à rejeter par principe toute action nationale dissidente, si exemplaire soit-elle.

 

Aurélien Bernier

Auteur, notamment, de l’ouvrage Comment la mondialisation a tué l’écologie (Mille et une nuits, Paris, 20012).

Article paru dans Le Monde diplomatique, octobre 2012

 

 

 

(1) Le «  Global Green New Deal  » est lancé le 22 octobre 2008 par le Programme des Nations unies pour l’environnement.

(2) «  We will create green new deal, says Gore  », The Guardian, Londres, 14 mars 2009.

(3) Anthony Giddens, The Politics of Climate Change, Polity Press, Londres, 2009.

(4) Jean-Marc Nollet, Le Green Deal. Proposition pour une sortie de crises, Le Cri, Bruxelles, 2008.

(5) Alain Lipietz, Green Deal. La crise du libéral-productivisme et la réponse écologiste, La Découverte, Paris, 2012.

(6) Catherine Decouan, La Dimension écologique de l’Europe, Entente, Paris, 1979.

(7) Alain Lipietz, L’Audace ou l’Enlisement, La Découverte, Paris, 1984.