« Les Parties ont reconnu l’urgence de la situation en matière de changement climatique et apportent maintenant une réponse politique aux alertes des scientifiques ». Si une échelle équivalente à celle de Richter permettait de mesurer la langue de bois, aucun doute que cette déclaration de M. Yvo de Boer, secrétaire exécutif de la Convention Cadre des Nations Unies sur le Changement Climatique, obtiendrait la note maximale. Cette affirmation d’un optimisme débordant à la sortie de la conférence de Bali est une totale contre-vérité. Le 15 décembre dernier, la clôture de la rencontre a marqué au contraire le décalage incroyable entre la gravité de la situation environnementale et la capacité des Etats à agir politiquement.
Comme on pouvait s'y attendre, rien de ce qui ressort de Bali ne permet de penser qu'un engagement chiffré et contraignant de réduction des gaz à effet de serre pourrait être accepté par les Etats-Unis ou par les pays émergeants comme la Chine et l’Inde. La première puissance mondiale tente même avec l'applomb qu'on lui connaît de contourner le cadre des Nations Unies pour négocier sur le climat. De nombreux commentateurs ont utilisé le terme de « sabotage ». Certes, le comportement des américains est une provocation, mais encore faudrait-il qu'il y ait quelque chose à saboter !
La première victoire, selon les officiels, est l'accord autour d'une « feuille de route » qui devra déboucher sur un Protocole de Kyoto bis d'ici fin 2009. Pas de quoi pavoiser lorsqu'on sait que l'intégralité du contenu du futur texte reste à écrire, et que le bilan de Kyoto se résume à dix années de perdues ! Avec ses objectifs dérisoires que de nombreux Etats n'atteindront vraisemblablement pas, le fameux protocole aurait besoin d'un succésseur qui marque une profonde rupture. Mais personne n'y croît une seconde, à juste titre. Les mêmes recettes seront conservées, comme le marché des droits à polluer – véritable aubaine pour la finance – ou les mécanismes incitatifs qui ont remplacé toute idée de réelle contrainte sur les entreprises. Avec une totale inefficacité environnementale, démontrée par les chiffres. Bali a d'ailleurs été l'occasion de constater que le transfert des technologies propres entre les pays développés et les pays en développement ne fonctionnait pas. Curieuse découverte dans un monde où le brevet s'impose jusqu'au domaine du vivant !
La question primordiale de la déforestation fut traitée avec une détermination et un courage équivalents. Que faire contre la dégradation des forêts ? Appliquer des sanctions économiques contre les Etats qui refusent d'agir ? Non, les 187 pays présents en Indonésie ont eu une bien meilleure idée : rémunérer le maintien des zones boisées. On paiera donc le fait de ne pas couper les arbres qui stockent le CO2, tout comme sera payé le reboisement. A chaque étape, la monétarisation de l'environnement s'accélère encore un peu plus.
Enfin, un fonds d'adaptation pour les pays qui seront les premières victimes du changement climatique est créé. Il sera alimenté par un prélèvement de 2% sur les projets du Mécanisme de Développement Propre (MDP). Le MDP est une disposition du Protocole de Kyoto qui prévoit de récompenser les investissements dans des pays en développement pour des projets émettant moins de CO2 que la moyenne. La récompense est constituée de « crédits d'émission », qui permettront aux industriels de continuer à polluer dans les pays développés ou de faire des profits sur le marché du carbone en les revendant. Les ressources des Etats les plus pauvres pour se protéger du changement climatique seront donc les miettes que laisseront des multinationales après s'être goinfrées du nouveau marché des MDP.
Cette fois encore, la communauté internationale a réaffirmé le choix de la voie néo-libérale pour tenter de gérer la crise climatique. En proposant la mise en place d'une « Taxe Tobin 2 » sur les flux financiers, M. Jean-Louis Borloo a joué à Bali un véritable rôle de révolutionnaire. Dans cette posture, le ministre français est aussi crédible qu'un SDF qui réclamerait mille euros aux passants, tant les négociations sont à des kilomètres de telles extrémités. Mais ce dépoussiérage de la revendication initiale d'Attac par un dirigeant de droite aura au moins le mérite de souligner à quel point les ONG sont globalement absentes ou à côté du sujet. Plus personne ne devrait sérieusement croire qu'il sera possible d'agir en matière d'environnement sans s'attaquer à la finance, au libre-échange, à cette mondialisation qui n'a jamais été que néo-libérale. Il faut le répéter : la rupture doit être économique. Puisque la comunauté internationale a déjà renoncé à l'envisager, c'est aux Etats courageux, s'il en existe, de prendre des mesures. Y compris de façon unilatérale.