« Le protocole n’aura pas servi à grand-chose ». Avec des objectifs dérisoires et un calendrier trop long, Kyoto a échoué, selon Aurélien Bernier, d’ATTAC.
Aurélien Bernier est membre du groupe Ecologie et société à ATTAC. Il estime qu’en s’en remettant essentiellement au marché, le protocole de Kyoto pourrait aggraver le problème des émissions de gaz à effet de serre.
Dix ans après sa signature, quel bilan tirez-vous du protocole de Kyoto ?
Aurélien Bernier. Historiquement, la prise de conscience d’une nécessaire réduction des émissions de gaz à effet de serre date de la convention-cadre des Nations unies sur le changement climatique (CCNUC), adoptée en 1992 à Rio (Brésil). Cette convention est en fait la traduction politique des travaux du Groupement intergouvernemental sur l’évolution du climat, le GIEC, qui constatait la responsabilité de l’homme dans la modification du climat. Sous l’égide des Nations unies, les Etats ont donc décidé de stabiliser les concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère à un niveau qui permette d’éviter une catastrophe environnementale. C’est en 1997, date de la signature du protocole de Kyoto, que tout se gâte. Car il a fallu discuter d’objectifs, de calendrier et de modalités. En effet, en 1997 on a décidé de prendre pour référence l’année 1990 et de viser une réduction de 5,2 %. Sauf qu’entre-temps les économies des pays de l’Est se sont effondrées, participant à une réduction des émissions, quasiment de 5 %. L’engagement des Etats équivalait alors à une stabilisation et cela sur une durée de quinze ans. Les objectifs étaient donc dérisoires et le calendrier très long. Au final, le protocole de Kyoto n’aura donc pas servi à grand-chose.
Vous êtes aussi très critique vis-à-vis des modalités du protocole. Pourquoi ?
Aurélien Bernier. Les négociateurs se sont appuyés sur l’expérience d’un marché aux émissions de dioxyde de souffre (SO2) aux Etats-Unis, dans les années 1990. Ce dispositif comprenait aussi une réglementation pointue. A l’époque, on a distribué des quotas aux entreprises, qui avaient le droit de les échanger : les plus polluantes en achetaient à celles qui en émettaient moins. Au final, on a constaté une diminution des émissions, mais qui était surtout imputable à la réglementation. Pour les libéraux, ce succès était dû au système des doits à polluer. Résultat : à Kyoto, on a négocié un même type de marché pour les gaz à effet de serre.
Pourquoi ce système d’échanges de quotas ne fonctionne-t-il pas ?
Aurélien Bernier. Ces mécanismes ont remplacé la réglementation. On a préféré laisser faire le marché. Du coup, de moins en moins de contraintes pèsent sur les entreprises. Dans le même temps, on a de plus en plus recours à des systèmes uniquement incitatifs. Or, dès lors que l’on crée un marché, on introduit de la spéculation. Des entreprises achètent des tonnes de carbone, puis attendent que les cours montent pour les revendre avec un maximum de bénéfices. Cela encourage plutôt à des investissements a minima.
Que préconisez-vous ?
Aurélien Bernier. En abaissant les barrières douanières, on ne peut plus imposer de contraintes environnementales ou sociales sans être soumis à un chantage aux délocalisations. Ce chantage existe déjà pour la main-d’oeuvre, il va s’accentuer avec la gestion des gaz à effet de serre. Dans ce contexte libre-échangiste, décider, par exemple, d’une taxe carbone en Europe pousserait les entreprises à aller produire ailleurs. La première des choses à faire serait donc d’envisager une régulation internationale qui intègre le coût social et environnemental dans le prix des produits. Pourquoi pas au niveau de l’Organisation mondiale du commerce ? Ou à défaut de l’Union européenne ou d’un Etat. Il faudrait un, deux ou trois Etats un peu courageux pour entraîner les autres à leur suite.
3 décembre 2007
Entretien réalisé par V. D.
à lire également sur le site du journal:
http://www.humanite.fr/2007-12-03_Societe_-Le-protocole-n-aura-pas-servi-a-grand-chose