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Titre du blog : Démondialiser et coopérer
Auteur : abernier
Date de création : 28-11-2007
 
posté le 30-11-2007 à 12:30:41

Kyoto, Bali : le climat otage de la finance

Du 3 au 15 décembre, aura lieu à Bali la troisième conférence des parties au Protocole de Kyoto, qui devra dessiner le contour des politiques internationales de lutte contre le changement climatique pour l’après 2012. La période est bien choisie, puisque le 11 décembre marquera les dix ans du fameux Protocole. Nous sommes donc à la fois à l’heure des bilans et des engagements pour l’avenir.

  

Que peut-on mettre à l’actif du Protocole de Kyoto ? Rien ou presque. Avant lui, la Convention Cadre des Nations Unies sur le Changement Climatique (CCNUCC) avait pris l’engagement d’une stabilisation des émissions de gaz à effet de serre (GES) d’origine humaine à un niveau permettant d’éviter les catastrophes environnementales. Elle traduisait ainsi une prise de conscience et fixait un but ultime. A Kyoto, la négociation portait sur la concrétisation de cet engagement, à savoir la détermination d’un objectif quantitatif de réduction, d’un calendrier, et d’une mécanique. A partir de là, l’enthousiasme laissa la place au réalisme. L’objectif de réduction à une échéance fixée en 2012 sera dérisoire. On cite toujours le chiffre officiel de 5,2% par rapport aux émissions de 1990, mais à l’époque des négociations, la baisse effective était déjà de 4,8% et les pays qui se sont engagés ne pesaient que 40% des rejets mondiaux de GES. Kyoto correspond donc à une réduction réelle de 0,16% des GES à l’échelle de la planète en quinze ans. Autant dire, rien. Mais pour essayer d’atteindre un objectif aussi ambitieux, les négociateurs ont fait un choix politique lourd de sens : celui de confier la résolution du problème aux marchés.

  

Chacun se souvient que le marché, la libre concurrence, le libre-échange devaient permettre de réduire la pauvreté. Il s’agissait de la fameuse mondialisation heureuse, qui justifiait tout. A présent, chacun peut constater, chiffres à l’appui, que le nombre de malnutris augmente continuellement et que la répartition des richesses n’a jamais été aussi inéquitable. Et alors ? Aucune importance : quelques décideurs ont choisi dans notre dos de placer l’environnement entre les mains toutes puissantes du marché. Ainsi, Kyoto aura surtout permis l’introduction d’un système d’échange international des droits à émettre des GES, calqué sur les marchés financiers dont nous pouvons observer tous les jours les ravages. Les Etats délivrent des quotas de GES à leurs sites polluants. Les gestionnaires de ces derniers peuvent vendre et acheter des quotas en Bourse, la seule contrainte étant de détenir autant de quotas que de tonnes de GES émises par leurs installations. La spéculation sur les gaz à effet de serre est maintenant une réalité. Les précurseurs s’appellent Rhodia, Lafarge, Société Générale… et surtout la Banque Mondiale, principal gestionnaire de fonds dédié au commerce des quotas de GES.

  

Purs produits du dogme libre-échangiste, les dispositions de Kyoto accentuent la concurrence entre les pays. Economiser une tonne de GES en Chine est infiniment plus rentable que d’éviter une tonne de GES en Europe, qui possède déjà un niveau de technologie élevé et où le coût de la main d’œuvre est plus important. Or, cette tonne économisée se vendra exactement le même prix sur le marché international des GES. Kyoto constitue donc une incitation supplémentaire à délocaliser ou à menacer de le faire, menace qui suffit à rendre possible la destruction méticuleuse des acquis sociaux dans les pays occidentaux et à interdire toute contrainte politique ambitieuse sur l’économie.

  

Voilà donc le passif de Kyoto. La transformation d’une prise de conscience réelle en une mécanique ultralibérale taillée sur mesure pour l’industrie et la finance. A l’heure où Bali se prépare, on ne sait encore rien des dispositions de l’après 2012, sauf une chose : le marché des gaz à effet de serre sera conservé et devra s’étendre.

  

Les négociations internationales sur le climat témoignent d’un terrible recul du politique. Il n’est plus question de réglementer, de taxer, de contrôler, mais bien de laisser faire le marché. La victoire idéologique des libéraux est nette. Pourtant, la situation appelle une véritable révolution tant les projections à 2050 sont effrayantes. La population sera multipliée par 1,5. Avec une croissance mondiale moyenne de 3,2% par an, la richesse par habitant sera multipliée par près de 4. Et les études scientifiques synthétisées par le Groupe d'Experts Intergouvernemental sur l'Evolution du Climat (GIEC) concluent qu’il faudra diviser par deux les émissions de GES pour éviter la catastrophe climatique. Tout ceci revient à dire qu’il faut diviser par douze le contenu en gaz à effet de serre du PIB ! Ce qui est totalement impossible sans une remise en cause radicale des règles du commerce international.

  

Etonnamment, Nicolas Sarkozy a entr’ouvert lors du Grenelle de l’environnement une porte que nous pourrions enfoncer, en proposant de taxer les importations des pays ne respectant pas les engagements du Protocole de Kyoto. Proposition opportuniste sans doute, et contradictoire avec son attachement profond au libéralisme, mais intéressante malgré tout. Les forces progressistes pourraient lancer un vaste mouvement de soutien à cette idée, en la remaniant sensiblement. Tout d’abord, ce qui est valable pour l’environnement l’est aussi pour le social. Taxons donc les importations sur la base de critères environnementaux (qui ne se limitent d’ailleurs pas aux seules émissions de GES) mais aussi sur les conditions de travail et de protection sociale des populations. Dès lors, nous pourrions réellement parler de concurrence non faussée, puisque la production devrait assumer ses externalités. Pour ne pas entrer dans une logique protectionniste, le produit de ces nouveaux droits de douane serait affecté à des projets socialement et écologiquement responsables dans les pays taxés. De telles mesures étant de nature à limiter fortement les envies de délocaliser, et même à permettre une relocalisation de l’économie, il serait ensuite possible d’appliquer aux activités résidentes une contrainte identique, tout en s’assurant qu’elle ne se répercute pas sur les ménages et pèse bien sur les profits. Pour cela, il faudra bien-sûr taper des deux poings sur la table d’une Union européenne libre-échangiste et dénoncer une fois pour toutes les règles de l’Organisation Mondiale du Commerce.

  Nous pouvons alors nous rappeler que les négociateurs de Bali ne sont pas les seuls à fêter une décennie anniversaire, puisqu’il y a dix ans que l’altermondialisme a émergé dans le débat public en France. Il est aujourd’hui en perte de vitesse, faute de propositions concrètes capables de mobiliser un front large de citoyens. Kyoto et maintenant Bali nous donnent une opportunité. Celle de créer un grand mouvement pour une écologie sociale et solidaire qui torde enfin le cou à ce libre-échangisme responsable de tant de maux.