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Titre du blog : Démondialiser et coopérer
Auteur : abernier
Date de création : 28-11-2007
 
posté le 28-11-2007 à 15:37:56

La poudre aux yeux de l’évaluation des OGM

 

Les organismes génétiquement modifiés (OGM) s’invitent dans l’alimentation. Que ce soit officiellement, par des autorisations délivrées sous la pression des lobbies des multinationales, ou clandestinement, par la contamination de filières alimentaires. A la racine de ce début de prolifération, l’absence de procédure indépendante d’évaluation des effets des plantes transgéniques sur la santé et l’environnement. Par Aurélien Bernier - Article paru dans Le Monde Diplomatique, novembre 2006.


Tout internaute visitant le site interministériel du gouvernement français consacré aux organismes génétiquement modifiés (OGM) peut découvrir, dans une rubrique intitulée « Evaluer un OGM avant sa mise sur le marché », le paragraphe suivant : « L’analyse des risques pour la santé et l’environnement est l’élément fondamental et préalable à toute autorisation de mise sur le marché d’OGM. Elle est fondée sur des éléments scientifiques pertinents et pluridisciplinaires, et est confiée à des comités d’experts indépendants (1) ». Si cette page subissait le test du détecteur de mensonges, les ordinateurs connectés biperaient à répétition. Ce discours se heurte en effet à la réalité de l’évaluation des OGM, dont toute l’histoire montre qu’elle n’est, dans le meilleur des cas, que poudre aux yeux.
Apparue durant la seconde moitié du XXe siècle, la transgenèse est une technologie profondément nouvelle puisqu’elle permet, pour la première fois, d’insérer artificiellement dans une cellule une construction génétique étrangère. Or, de telles applications sur des êtres vivants posent des questions sanitaires et environnementales, sans parler de considérations éthiques, qui obligent à mettre en place une évaluation spécifique de leurs impacts. Pourtant, il n’en a jamais rien été.
Aux Etats-Unis, pays pionnier en matière de manipulations génétiques, les propositions de loi visant à contrôler politiquement le développement des biotechnologies apparaissent à la fin des années 1970 (
2).
Certaines d’entre elles envisagent de créer des commissions de régulation ad hoc. Mais le Congrès prend rapidement une première décision lourde de sens : les agences fédérales existantes (
3), dans le cadre des réglementations en vigueur, suffiront à organiser la régulation. Le 26 juin 1986, le président Ronald Reagan signe un ensemble de règles connues sous le nom de Coordinated Framework for Regulation on Biotechnology Policy (cadre de coordination de la réglementation de la politique des biotechnologies) qui ouvrent la voie à la dissémination des OGM en consacrant le principe de l’« équivalence en substance » : les produits transgéniques, comparés aux produits non transgéniques équivalents sur la seule base de leur composition (nutriments présents, substances toxiques ou allergènes), ne seront soumis à aucune réglementation spécifique. Les autorités américaines décident donc d’ignorer les méthodes de production des OGM et leurs conséquences éventuelles sur l’environnement et sur l’alimentation.


Douteux système européen


Cette démarche constitue une aberration scientifique. En n’étudiant que les changements planifiés, on ne peut identifier, par exemple, une possible interaction entre la protéine fabriquée par le nouveau gène et d’autres protéines de l’organisme. Or c’est un mécanisme de cette nature qui est à l’origine de l’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB), plus connue sous le nom de maladie de la vache folle, et de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. L’exemple tragique du tryptophane aurait par ailleurs dû suffire à disqualifier la notion fondatrice de la législation américaine : la production de cette molécule d’intérêt thérapeutique, à partir d’une bactérie génétiquement modifiée autorisée par l’Agence pour la sécurité des aliments et des médicaments (FDA), sur la base de l’équivalence en substance, a provoqué en 1989 une épidémie qui a occasionné trente-sept décès et la paralysie à vie de mille cinq cents personnes (4). Ce qui n’empêche pas cette façon de procéder de perdurer aujourd’hui encore en Amérique du Nord (5).

L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), sur proposition des Etats-Unis, avait anticipé une extension internationale du développement des OGM. Sous son égide, un groupe d’« experts » avait rédigé un Livre bleu, publié en 1983, et intitulé Considérations de sécurité relatives à l’ADN recombiné. Son contenu se résume en une seule phrase, qui figure dans la conclusion : « Il n’y a aucune justification scientifique à l’adoption d’une législation visant spécifiquement les organismes à ADN recombinés. » L’élimination des risques de distorsion de concurrence et d’entrave à la libre circulation des marchandises doit prévaloir sur toute autre considération. En 1986, la France s’inspire de ce rapport en créant la Commission du génie biomoléculaire (CGB), chargée d’« évaluer » les conséquences de la dissémination des OGM, dont l’apparition dans les champs se profile à l’horizon. L’Union européenne aurait sans doute emboîté le pas si plusieurs événements perturbateurs n’étaient venus changer la donne : entrée de députés Verts au Parlement européen, crise de la vache folle, mais aussi premières destructions en Europe de parcelles transgéniques.


Ainsi, les directives 90/219 et 90/220, puis leur remplaçante, la 2001-2018, ne reprennent-elles pas le principe de l’équivalence en substance, et optent pour une « évaluation au cas par cas ». La pression de l’opinion aboutira également, en 2003, à l’adoption d’un règlement qui impose l’étiquetage de produits contenant plus de 0,9 % d’OGM.


A y regarder de près, le système européen est cependant d’une fiabilité plus que douteuse... Certes, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) et, en France, la CGB et l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) sont chargées de l’examen des dossiers d’autorisation. Mais absolument tous les éléments sur lesquels elles se fondent leur sont fournis par les demandeurs, à savoir les multinationales qui entendent commercialiser leurs produits ! Jamais aucune contre-expertise indépendante n’a été exigée. Lorsque des compléments d’information sont nécessaires, ils sont donc réclamés à Monsanto, Pioneer ou Biogemma. Dans un entretien accordé à Inf’OGM en juin 2004, M. Martin Hirsch, ancien directeur de l’Afssa, confiait d’ailleurs que les demandeurs fournissent des dossiers volontairement incomplets en espérant décourager les organismes chargés d’émettre des avis, et tirer ainsi encore un peu plus vers le bas le processus d’« évaluation ».
Comble de l’audace : lorsque l’Union européenne a été déférée en 2003 par les Etats-Unis, le Canada et l’Argentine devant l’Organe de règlement des différends (ORD) de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) au sujet d’une législation sur les OGM jugée trop contraignante par les plaignants, elle a mis en avant, dans son mémoire en défense, les importantes lacunes de son propre système d’évaluation et les dysfonctionnements de l’EFSA (
6) ! Le 29 septembre dernier, l’OMC a rendu sa décision sur ce contentieux : l’Union européenne avait enfreint les règles du commerce international – les seules qui comptent pour elle – en imposant un moratoire de fait sur les OGM entre 1999 et 2003. Mais elle n’a pas été condamnée car, entre-temps, elle avait levé ce moratoire...


Parallèlement à ce processus d’autocritique – le plus discret possible, cela va sans dire –, de nombreuses variétés transgéniques ont été et sont toujours autorisées, parfois dans des conditions inquiétantes. Le fameux maïs Monsanto 863 de la multinationale a ainsi bénéficié de la complaisance de l’EFSA, puis de l’agrément de la Commission européenne, en dépit de résultats de tests toxicologiques contestables (7). En France, des actions menées en 2006 devant les tribunaux administratifs par des associations et des syndicats agricoles (le Modef et la Confédération paysanne) ont conduit à l’annulation de plusieurs autorisations d’essais de plantes transgéniques, tant les études d’impact sur l’environnement exigées par la réglementation avaient été bâclées. Ces jugements, en particulier celui du tribunal administratif de Strasbourg, rendu le 25 juillet, constituent une sanction pour les entreprises, mais ils doivent surtout être compris comme un blâme adressé à cette CGB tant vantée par les pouvoirs publics. Il est par ailleurs audacieux de qualifier d’« indépendants » les fameux « experts » qui la composent, tant les collusions entre plusieurs d’entre eux et l’industrie des biotechnologies sont avérées. Ce qui n’est sans doute pas sans rapport avec le laxisme qui prévaut lors de l’examen des dossiers (8).

Prévenir les disséminations

La conclusion s’impose : jamais les plantes transgéniques ou les aliments qui en sont issus n’ont été sérieusement évalués, ni sur le plan sanitaire ni sur le plan environnemental. Pour couronner le tout, la Banque mondiale se permet à présent, dans un rapport récent (9), de vanter les avantages économiques que le coton transgénique procurerait aux agriculteurs en prenant ses sources chez celui qui le commercialise : le semencier Monsanto !


L’absence d’outils objectifs d’expertise légitime l’opposition à la dissémination des OGM dans l’environnement et la demande d’un moratoire s’accompagnant de leur strict confinement dans les laboratoires à des fins de recherche fondamentale. Il y a urgence à reprendre de zéro tout le processus d’évaluation des organismes issus de la transgenèse, en développant un véritable service public dont la neutralité soit inattaquable, et qui, au-delà des questions scientifiques, intégrerait des paramètres socio-économiques, cruellement absents des travaux de la CGB ou de l’EFSA.


En mars 2006, le Sénat avait adopté en première lecture un projet de loi visant à mettre en conformité le droit français avec la directive européenne 2001-2018 qui, entre autres dispositions, introduit un principe de « coexistence » entre filières OGM et non-OGM. Invoquant un calendrier parlementaire chargé, le gouvernement a renoncé à le soumettre à l’Assemblée nationale à la session d’automne, et le sénateur Jean Bizet, dans un message lu à la fin des débats, a appelé de ses vœux l’élaboration d’« une véritable loi fondatrice sur les biotechnologies ».


Un tel texte est effectivement indispensable puisque, en l’absence d’encadrement, la culture des plantes transgéniques se fait de manière sauvage. Encore faut-il, à la veille des échéances électorales de 2007, que l’hostilité massive des citoyens aux OGM soit entendue pour que se dégage une proposition responsable permettant de prévenir toute dissémination dans l’environnement.

Aurélien Bernier.
Membre de la coordination régionale Vigilance OGM Poitou-Charentes ; coauteur, avec Michel Gicquel, de Transgénial !, Attac - Mille et une nuits, Paris, 2006.

(
1) http://www.ogm.gouv.fr/savoir_plus/fiches/fiche-21.htm
(2) Les références historiques sont issues d’une étude de Damien de Blic intitulée « L’intervention des acteurs sociaux dans le processus décisionnel des organisations internationales. Une approche sociologique à partir de deux études de cas », disponible au Centre de droit international de l’Université libre de Bruxelles.
(
3) United States Department of Agriculture (USDA, ministère de l’agriculture) ; Food and Drug Administration (FDA, Agence pour la sécurité des aliments et des médicaments) ; Environmental Protection Agency (EPA, Agence de protection de l’environnement).
(
4) Consulter à ce sujet le site Seeds of Deception : http://www.seedsofdeception.com/
(5) Les principes mis en œuvre aux Etats-Unis pour encadrer les biotechnologies furent rapidement copiés par le Canada. A ce sujet, voir le site de Biotech Action Montréal : http:///bam.tao.ca/fr/franc.htm
(6) Voir le site des Amis de la Terre : http://www.amisdelaterre.org/article.php3?id_article=2415
(7) Un rapport complet de Gilles-Eric Séralini est disponible sur le site du Comité de recherche et d’information indépendante sur le génie génétique (Crii-gen) : http://www.criigen.org/moyen_action/m_moyens_comm_press.htm
(8) Lire Bernard Cassen, « OGM, des académiciens juges et parties », Le Monde diplomatique, février 2003. Consulter également le site d’Attac France : http://www.france.attac.org/article.php3?id_article=1780
(9) Cf. Bulletin d’Inf’OGM, n° 76, juin 2006, à commander sur http://www.infogm.org/

 

Commentaires

Romain-V le 10-12-2010 à 19:45:04
Bonjour

je découvre votre site aujourd'hui grâce au blog de Corinne Morel Darieux.

Je vous envoie le texte ci-dessous qui me semble toujours d'actualité.

La position défendue est un tantinet plus radicale que celle que vous exposez, si je vous ai bien lu.

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Christian VELOT, Maître de Conférences en génétique moléculaire (Université PARIS XI),

chercheur à l’Institut de génétique et de microbiologie (Centre Scientifique d’Orsay).


"les faucheurs d’OGM sont des éveilleurs de conscience"


Les « plantes-médicaments » ne sont rien d’autre que le cheval de Troie des OGM agricoles...


lundi 11 décembre 2006

Ne pouvant être présent ce jour aux côtés de Monique Burnichon et des faucheurs volontaires, le Dr Christian Vélot

a adressé cette lettre, lue par Monique lors du débat à la MJC de Firminy.


"Chers Amis,

C’est avec grands regrets que je ne puis être parmi vous aujourd’hui pour apporter mon soutien aux faucheurs de Nonette, et à

travers eux, à l’ensemble des faucheurs volontaires.

Comme vous le savez, en tant que biologiste moléculaire, je fabrique et j’utilise des OGM toutes les semaines, dans le cadre de mes recherches fondamentales et de mon enseignement à l’Université. Et c’est justement pour cette raison que je sais à quel point il est irresponsable de

disséminer les OGM dans l’environnement et dans les assiettes, tant cette technologie est, non pas « chirurgicale » comme on essaie de nous le faire croire, mais au contraire totalement aléatoire. Il n’y a pas un seul scientifique au Monde, pas même Claude Allègre, qui est capable d’appréhender de manière exhaustive, ce que peuvent être à court, moyen ou long terme, les conséquences d’une modification génétique sur l’ensemble du métabolisme d’une plante et ses répercussions dans la

chaîne alimentaire, ou encore sur ses interactions avec l’environnement.

Il en découle des risques sanitaires et environnementaux absolument

imprévisibles. Ces risques sont bien évidemment exacerbés lorsqu’il s’agit

de « plantes-médicaments » (comme c’est la cas pour le maïs de Méristem produisant la lipase gastrique de chien destinée aux enfants atteints de mucoviscidose), car il s’agit alors de mettre la pharmacie en

plein champ, et de prendre ainsi le risque qu’une molécule qui nécessite une prescription médicale se répande dans la nature et soit consommée de façon incontrôlée par des individus ou des animaux.

Les « plantes-médicaments » nous sont présentées comme une technique

révolutionnaire pour produire des protéines d’intérêt pharmaceutique alors qu’il y a près de 25 ans que la« technologie OGM » est utilisée en laboratoire pour produire de telles protéines à visée thérapeutique

(insuline, hormone de croissance, facteurs de coagulation, vaccins, etc...)

en utilisant des cellules en culture (bactéries, levures, cellules d’insecte,

d’ovaires de hamster, ou encore plus récemment, des cellules végétales)

multipliées à grande échelle dans des fermenteurs entièrement clos. Les

« plantes-médicaments » ne sont donc rien d’autres que le cheval de Troie des OGM agricoles que l’on essaie une fois de plus de nous imposer en utilisant la vitrine médicale et en jouant de la corde sensible comme on

sait si bien le faire au pays du Téléthon. Les enfants atteints de mucoviscidose sont aux plantes génétiquement modifiées ce que les

enfants atteints de myopathie sont au Téléthon : un outil publicitaire pour

alimenter les caisses d’une usine à gaz qui, au nom de la recherche agronomique ou sur les maladies génétiques, ne sert qu’à satisfaire l’ambition malsaine d’une poignée de techno-scientifiques.

Les faucheurs d’OGM, et de « plantes-médicaments » en particulier, ne sont pas des obscurantistes, des passéistes ou des anti-science. Ils ne sont pas contre la technologie OGM en tant que telle, certains d’entre eux étant eux-mêmes des patients qui se soignent avec des

« protéines-médicaments » obtenues par cette technologie en laboratoire.

Ils sont contre les applications qui en sont faites dans l’environnement, car ils refusent que la planète soit une paillasse de laboratoire, et les consommateurs des cobayes. Les faucheurs d’OGM sont au contraire des éveilleurs de conscience qui ont alerté l’ensemble des citoyens et ainsi fait en sorte que le débat puisse exister, y compris au niveau du monde scientifique.

Les faucheurs d’OGM sont aujourd’hui sur le banc des accusés. Ils seront demain les héros d’une résistance qui refuse que l’on sacrifie l’environnement et la sécurité sanitaire au nom de pressions mercantiles

et d’idéologies scientistes. Je les soutiens de tout mon coeur et de toutes mes forces.

Bien à vous,

Christian Vélot

Docteur en biologie"

Le 10 décembre 2006

++++++++++++++++++++++++++++

Emission de Daniel Mermet (France Inter) : "Là-bas si j’y suis"

Leçon de choses : Les OGM

diffusée le vendredi 15 décembre 2006

Les OGM expliqués par Christian Vélot, dans son Laboratoire de recherche en Génétique Moleculaire, à Orsay.

Si vous avez le haut-débit vous pouvez Ecouter ou Télécharger :

http://www.la-bas.org/article.php3 ?id_article=1059

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harfang le 10-09-2010 à 12:25:08
Bonjour,

je viens de recevoir ce mail pour signer une pétition contre la culture OGM. Peut-être serez-vous intéressés ?


Voici le message :


La Commission Européenne vient d'autoriser la culture d'OGM en Europe, ignorant les préoccupations des citoyens. Je viens de signer une pétition appelant à une recherche scientifique indépendante et à un moratoire sur le développement des OGM. Avec 1 million de signatures, nous avons la possibilité de présenter une proposition de loi à la Commission Européenne. Signez ci-dessous et allons jusqu'à 1 million:


http://www.avaaz.org/fr/eu_gmo/98.php?cl_taf_sign=sNx2NyaM