Il suffit de lire l’édition du 24 octobre du journal La Tribune pour mesurer l’ampleur de la stratégie de récupération de la thématique environnementale par l’industrie et la finance. Les titres d’articles y sont tous plus évocateurs les uns que les autres : « Le vert vaut de l’or », « Un grenelle juteux pour les entreprises », « Comment sauver la planète sans tuer la croissance ? »… Ce numéro spécial pour le coup d’envoi du Grenelle de l’environnement est d’ailleurs titré « Cap sur la croissance verte ». Mais le meilleur est sans doute à lire dans le texte introductif. Après avoir reconnu l’importance des enjeux environnementaux, les rédacteurs estiment en effet qu’ « au développement durable, concept du siècle dernier, qui fleurait bon sa culpabilité et ses mesures inefficaces, laissant la porte grande ouverte aux écologistes les plus radicaux, succède depuis 2000 une approche plus positive qui apporte une lueur d’espoir ». Que s’est-il donc passé en l’an 2000 pour susciter autant d’optimisme ? L’arrivée au pouvoir de George W. Bush aux Etats-Unis ? Le passage aux 35 heures en France dans les entreprises de plus de vingt salariés ? Ou encore l’explosion de la bulle Internet au mois de mars, déclenchant une période de récession économique généralisée ? La Tribune ne le dit pas. Mais pour le reste, le quotidien économique nous décrit tout au long des quarante pages cette « approche plus positive » dont il se félicite. Sans accepter la moindre interrogation sur la recherche absolue de croissance ou sur la répartition des richesses, les pouvoirs économiques martèlent que les progrès technologiques permettront tout, pour peu que les entreprises bénéficient d’aides publique, qu’elles ne soient soumises à aucune taxe supplémentaire – une augmentation de la fiscalité environnementale devant être compensée par un allègement de celle sur le travail –, et que la régulation des pollutions se fasse par les mécanismes de marché.
Le discours est on ne peut plus classique. Pourtant la « révolution verte » a déjà commencé, mais elle se déroule encore en coulisse. Il s’agit tout d’abord pour les grands groupes industriels de s’offrir des technologies « propres » souvent développées par d’autres, et qui viendront compenser les activités moins écologiques. Pendant plusieurs mois, le leader mondial du nucléaire Areva a bataillé avec le groupe indien Suzlon pour le rachat du constructeur allemand d’éoliennes REpower. Après que les offres aient été relevées plusieurs fois, la proie que constituait REpower début avril 2007 était valorisée cent fois le résultat d’exploitation 2006. Malheureusement pour elle, Areva a du céder. Mais elle s’est vite consolée avec l’acquisition en septembre de 51% du fabricant d'éoliennes Multibrid. Fin mars 2007, EDF annonçait le rachat via sa filiale énergies renouvelables, de 66,5% du capital de Supra, une entreprise spécialisée dans le chauffage au bois. Selon le groupe, cela lui permettra de tenir ses engagements en matière d’économies d’énergie. Derrière ces manœuvres, c’est une stricte logique de rentabilité qui prévaut évidemment. Cette goinfrerie se double d’une course aux droits de propriété intellectuelle. La société canadienne CO2 Solution, née en 1997, s’est ainsi faite la spécialiste du brevet sur les technologies anti gaz à effet de serre. Début 2007, elle détenait douze brevets dans différents pays, et avait déposé vingt-et-une demandes supplémentaires. Elle monnaye au prix fort les licences d’utilisation aux industriels, et impose même dans ses contrats d’être le fournisseur exclusif des enzymes utilisées par ses systèmes de neutralisation du CO2, s’octroyant ainsi une véritable rente.
Les autres acteurs de la finance ne sont pas en reste. Depuis 2005, le marché européen du carbone est opérationnel. Il ressemble comme deux gouttes d’eau aux marchés financiers, avec ses produits dérivés, ses échanges au comptant ou à terme, de gré à gré ou sur des places organisées. Avec toutefois un véritable plus : profitant de l’alibi de la défense de l’environnement, les Etats peuvent accorder des aides déguisées aux entreprises en abondant des « fonds carbone ». Ces fonds permettent de générer, grâce aux règles du Protocole de Kyoto, des quotas de CO2 supplémentaires en investissant dans des projets moins émetteurs de gaz à effet de serre que la moyenne. Ainsi, la Banque Mondiale gère un portefeuille de 2,2 milliards de dollars… dont près de la moitié provient de fonds publics. Les quotas générés, eux, iront in fine aux entreprises. Alors que le Protocole de Kyoto ne s’appliquera qu’au 1er janvier 2008, la spéculation sur ce marché du carbone est déjà une réalité. En investissant fin 2005 la somme de 14 millions d’euros dans la mise aux normes d’une usine coréenne et d’un site brésilien, Rhodia a généré 77 millions de quotas de CO2 valorisables à hauteur de 200 millions d’euros par an.
Voilà le type d’approches qui réjouit les puissances financières et que vante aujourd’hui La Tribune. Il serait urgent d’aller voir cette réalité derrière les discours officiel et de la nommer comme elle est : une arnaque pour le seul bénéfice des industriels et des investisseurs, qui ne parvient même pas à freiner l’augmentation continue des émissions de gaz à effet de serre.
Les solutions pour agir en matière d’environnement ne manquent pourtant pas, y compris au niveau national : conditionner les 65 milliards annuels d’aides publiques aux entreprises, intégrer des critères environnementaux obligatoires et systématiques dans les 234 milliards d’euros de la commande publique, mettre en place une taxe CO2/ énergie sur les importations et sur les activités résidentes. Tout ceci sans entraver la sacro-sainte compétitivité des entreprises, en favorisant l’emploi et en dégageant des recettes pour l’action publique. Mais nous savons dores et déjà que le Grenelle de l’environnement ne retiendra jamais de telles alternatives. C’est donc à nous, citoyens, de nous en emparer et de les porter.