« La raison du plus fort est toujours la meilleure » écrivait Jean de la Fontaine au XVIIème siècle dans sa célèbre fable intitulée « Le Loup et l’agneau ». L’intérêt principal de ce texte enseigné dans toutes les écoles n’est pas la dénonciation de la violence en tant que telle, bien qu’elle y soit évidemment présente, mais la dénonciation de la justification de cette violence lorsque ceux qui l’exercent cherchent à lui donner une sorte de fondement moral.
Les écologistes du XXIème siècle auraient tout intérêt à se souvenir de cette fable. Car une variante moderne de l’histoire pourrait avoir comme titre « Le banquier et l’écolo ». Depuis quelques années en effet, la communauté internationale prétend résoudre la crise écologique par le marché. Il fut un temps où les gouvernements utilisaient (certes insuffisamment) des outils classiques : réglementation, contrôles, taxes sur les pollutions ou les consommations, fiscalité environnementale… Ce qui suppose une forte intervention des pouvoirs publics. En 1995, les Etats-Unis créent un « marché des permis d’émission » pour les rejets de dioxyde de soufre, le principal polluant responsable des pluies acides. Un système également désigné sous le nom de « marché de quotas négociables », ou encore de « marché de droits à polluer ». Le principe en est relativement simple. Il suffit d’attribuer aux sites émetteurs un certain volume de droits à émettre chaque année le polluant considéré. Les pouvoirs publics déterminent en fait la quantité globale de polluant qui sera autorisée et distribuent des sortes de tickets de rationnement aux entreprises en début de période. Par exemple au premier janvier de l’année. Les firmes mènent leur activité économique, et, en fin de période (par exemple au 31 décembre), elles doivent restituer autant de tickets de rationnement (les quotas) que de tonnes réellement émises. Entre les deux, on crée un marché pour que les détenteurs de droits puissent les échanger librement.
Quel est l’intérêt d’un tel système ? Ses défenseurs lui trouvent deux avantages.
Premièrement, il permettrait de réaliser des économies en limitant l’intervention de l’Etat et en laissant les industriels aller spontanément vers les investissements les plus rentables. Imaginons deux sites polluants A et B qui ne respectent ni l’un ni l’autre le niveau d’émissions souhaité par les pouvoirs publics. Disons qu’ils dépassent chacun de 1 000 tonnes par an le maximum voulu. Mais, pour des raisons liées à la technique ou à leurs différences d’activité, l’usine A doit débourser 200 000 dollars pour baisser de 2 000 tonnes ses émissions, alors que l’usine B ne réduira que de 1 000 tonnes ses émissions avec le même investissement. Pour l’usine A, la tonne économisée coûte 100 dollars, alors qu’elle coûte 200 dollars pour l’usine B. Considérons aussi qu’une amende de 2 000 dollars est infligée pour chaque tonne de polluant émise au delà du volume de quotas présenté en fin d’exercice. Une amende rédhibitoire, donc. La logique du marché voudrait que l’exploitant de l’usine A réalise ses travaux anti-pollution en investissant ses 200 000 dollars. Non seulement il respecte les exigences, mais il dispose en plus d’un volume de 1 000 tonnes sous forme de permis qu’il peut vendre à l’exploitant de l’usine B. Au moins 100 dollars pièce pour ne pas perdre d’argent. Au plus 200 dollars pièce, car au delà, l’entreprise B aurait intérêt à réaliser ses propres travaux. En clair, l’entreprise A peut faire un bénéfice de, disons, 99 euros maximum par titre, ce que l’on appellera encore pudiquement une « valorisation de ses quotas ». Au final, chacune des entreprises est en conformité avec la contrainte réglementaire qui est uniquement de présenter autant de permis que de tonnes réellement émises.
Le deuxième argument qui est régulièrement avancé par les promoteurs du marché est plus amusant. Le principe des quotas échangeables serait en effet un modèle qui « parle » aux industriels, puisqu’il est calqué sur un autre, déjà couramment utilisé : la bourse. Dans un reportage consacré aux marchés de droits diffusé sur la chaîne de télévision France 3 en mai 2007[1], un spécialiste explique qu’en choisissant ce système, on s’adresse aux industriels dans leur langage. Comme si ces derniers étaient trop bêtes pour comprendre la réglementation ou la fiscalité, ce qui nécessiterait qu’on se mette à leur niveau ! Le raisonnement a quelque chose d’insultant. Et surtout de fumeux.
La principale raison qui explique l’émergence des marchés de droit est plutôt le renoncement des pouvoirs publics, qui osent de moins en moins imposer de contrainte environnementale en utilisant des voies réglementaires. Par connivence avec les pouvoirs économiques ou par peur réelle des délocalisations. On tente donc de contourner les difficultés en utilisant des mécanismes d’inspiration libérale. Alors que l’économie de marché a totalement échoué sur le plan de la redistribution des richesses, qui nous a pourtant été promise maintes fois et continue de l’être, on nous ressert la même recette à propos de l’environnement. Le plus étonnant reste que des écologistes renommés comme M. Alain Lipietz[2] ou Mme Dominique Voynet en arrivent à la cautionner, comme si nous pouvions nous passer d’une reprise en main de l’économie par le politique.
Le Protocole de Kyoto, dont l’objectif est la réduction des émissions mondiales de gaz à effet de serre, se traduit dans les faits par l’ouverture d’un marché du carbone. Les tonnes de CO2 seront allouées aux industriels, s’achèteront et se revendront au comptant ou à terme, de gré à gré ou sur des places organisées, comme de vulgaires barils de pétrole. Le marché sera international à partir de 2008. Depuis 2005, le « système européen d’allocation des quotas » fonctionne en phase de test grandeur nature.
Le problème est que nous ne vivons par dans le monde des Bisounours, ces gentilles peluches de dessins animés, mais dans un monde réel où les décisions politiques sont le produit de nombreux rapports de forces. Et où la raison du plus fort, comme au XVIIème siècle, est encore la meilleure. Créer un marché de quotas revient à créer un nouveau marché spéculatif sur lequel se jetteront rapidement les acteurs de la finance, non pas touchés par l’illumination du développement durable, mais bel et bien attirés par des profits potentiels. Et même si nous en sommes encore aux prémices, la spéculation sur le CO2 constitue d’ores et déjà une réalité. Le groupe chimique Rhodia a été l’un des premiers à profiter de l’aubaine courant 2005. En investissant 14 millions d’euros en travaux de dépollution sur deux usines situées en Corée et au Brésil, il a mis de côté 77 millions de quotas de CO2 valorisables à hauteur de 200 millions d’euros par an, ce qui a eu pour effet de tripler le cours de ses actions en quelques mois. Les compagnies d’assurance, les banques d’affaires, les fonds d’investissement sont parés pour s’engouffrer dans la finance carbone. La Banque Mondiale, bien connue pour ses échecs monumentaux en matière d’aide au développement, gère actuellement plus de 2,2 milliards de dollars d’actifs dédiés aux économies ou aux évitements de gaz à effet de serre. Soit environ trente-sept fois le budget annuel du Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) ! Ce qui n’empêchait pas la tonne de CO2 de se négocier en moyenne 12 centimes d’euros au comptant au mois de juillet 2007, à cause d’une sur-allocation de quotas par des gouvernements européens un peu trop sensibles au lobbying des industriels.
Alors, que penser du système de droits échangeables ? Tout compte fait, un peu la même chose que des Organismes Génétiquement Modifiés (OGM) qui, eux, occupent le devant de l’actualité depuis que les écologistes se sont emparés de la question. Dans un raisonnement hors sol et purement théorique, les OGM ne sont que des outils, qui peuvent être mis au service de la compréhension du vivant et dont l’utilisation peut être encadrée par des règles très strictes. Dans le monde réel, ils sont synonymes de brevetage, ils se développent sans aucune évaluation sérieuse et se retrouvent être de puissants outils au service de la finance.De la même manière, un marché de droits est un simple instrument économique. Strictement encadré et contrôlé, il pourrait éventuellement constituer une partie de solution aux problèmes d’environnement. Mais immergé dans l’ultra-libéralisme ambiant, il devient extrêmement dangereux car porteur d’attaques spéculatives, de recherche de profits faciles, voire de crises graves. Et il permet aux acteurs de la finance, comme dans la fable de La Fontaine, de donner une apparence « morale » à leurs boursicotages.
Enfin, le marché du carbone n’est pas seulement risqué. Il est aussi inefficace. Les émissions des entreprises qui font partie du système européen d’allocation de quotas continuent d’augmenter. Elles progressent de 0,8% entre 2005 et 2006, soit une hausse de 16,4 millions de tonnes[3]. Les analystes expliquent que tout ira mieux plus tard, lorsque le marché s’élargira et deviendra plus liquide. Rengaine connue : le marché fonctionne mal car il n’y a pas assez de marché…Mais la vérité est toute autre. La finance carbone mise en place avec le Protocole de Kyoto est une solution taillée sur mesure pour les industriels et les investisseurs. Elle leur permettra au mieux d’engranger des profits, au pire de gagner du temps sur l’application de vraies contraintes environnementales qui finira tôt ou tard par devenir inévitable.Michèle Pappalordo, présidente de l’Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie (ADEME), déclarait au printemps 2004 : « Je considère le Protocole de Kyoto quasiment comme un miracle »[4]. Un miracle libéral, sans aucun doute.
[2] « Marchés de droits à polluer : où est le scandale ? », Politis n°588, février 2000. http://lipietz.net/
[3] ENERPRESSE N° 9341, 11 juin 2007.
[4] Courrier de la Planète n°72 / Les Cahiers de Global Chance n°19, « Climat, énergies, éviter la surchauffe », Avril-Juin 2004.
Commentaires
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