En ce qui concerne la question écologique, 2007 ne sera pas seulement l’année du grenelle convoqué par M. Nicolas Sarkozy à la rentrée et de la polémique qui l’accompagne. Elle est déjà l’occasion de commémorer un événement qu’on nous présente comme marquant dans l’histoire des politiques environnementales. Il y a tout juste vingt ans, une commission créée par l’Organisation des Nations Unies et baptisée « Commission mondiale sur l’environnement et le développement » publiait le « Rapport Brundtland », du nom de sa présidente norvégienne. Ce document restera connu comme celui qui allait populariser la notion de développement durable.
Quinze ans plus tôt, une association internationale composée de diverses personnalités de la société civile, le « Club de Rome », tirait une sonnette d’alarme qui semblait à l’époque totalement décalée. Alors que les chocs pétroliers n’avaient pas encore marqué la fin des trente glorieuses, ce cercle de réflexion s’adressait aux dirigeants des grandes puissances mondiales pour s’inquiéter de l’impact sur l’environnement d’une croissance effrénée.
Entre les deux, l’expression « développement durable », traduite de l’anglais « sustainable development », verra discrètement le jour dans les années 80. Lorsque la commission Bruntland décide de la reprendre à son compte, elle lui donne la définition suivante : « un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs ». On applaudit. Pour la première fois, on se soucie de transmettre aux prochaines générations suffisamment de ressources pour qu’elles puissent vivre correctement. Et on entérine quasiment aussitôt ce concept, lors de la Conférence des Nations Unies pour l’Environnement et le Développement qui a lieu à Rio en 1992.
Il existe pourtant un léger problème avec la notion de développement durable telle que la formalise le Rapport Bruntland. Comme il n’est pas question pour les rédacteurs de remettre en cause la croissance telle que nous la connaissons, ces derniers posent comme axiome le principe d’une compensation des atteintes à l’environnement par des développements technologiques. La technologie guérira tout pour peu qu’on y mette les moyens. L’essentiel sera donc maintenant de découpler croissance et pollution (dit autrement, peu importe que la pollution augmente si elle augmente moins vite que la croissance)… et de le faire savoir à grand renfort de communication.
Comme chacun le sait, les entreprises s’engouffreront dans la brèche et seront promptes à se repeindre aux couleurs du développement durable à peu de frais. L’électricien EDF, par exemple, puisque le nucléaire permet de limiter les rejets directs de gaz à effet de serre. L’agrochimiste Monsanto, puisque certaines de leurs plantes transgéniques permettent d’éviter des épandages de pesticides… Et les cas similaires se multiplient à l’infini.
Comment une telle supercherie est-elle possible, alors que dans le même temps, tout le monde ou presque s’accorde sur le constat d’une dégradation alarmante de l’environnement ?
Le développement durable est censé s’intéresser aux interactions entre l’économique, le social et l’environnemental pour y rechercher un optimum.Or, les profits de l’économie néolibérale s’engraissent de spéculation sur les marchés financiers, mais aussi d’externalités. C'est-à-dire de la différence entre le coût global et le coût supporté par le producteur. Une paire de chaussure fabriquée en Chine coûtera une somme dérisoire à la multinationale qui la fabrique. Les ouvriers de l’usine sont traités et payés comme on le sait : mal. L’usine rejette des quantités importantes de polluants. L’activité génère des millions de kilomètres de transport. Tout ceci est au final payé par quelqu’un. Puisqu’il ne s’agit pas de la multinationale, il s’agit de la collectivité, qui dépollue ou se protège de la pollution, qui fournit plus ou moins d’aides sociales pour compenser la précarité des salariés, qui soigne les maladies professionnelles…
Une façon sérieuse de traiter le développement durable aurait été de poser la question suivante : comment réintégrer progressivement les externalités dans le coût de production ? Comment faire en sorte que le prix de la tonne de maïs cultivé en intensif contienne le coût social de l’irrigation, de l’épandage de pesticides, du séchage fortement consommateur d’énergies fossiles, etc. ?
La réponse est évidemment complexe, mais une chose est certaine. De tels changements ne pourront jamais s’effectuer en conservant des règles de libre échange qui mettent en concurrence des Etats aux législations sociales et environnementales totalement disparates. C’est pourquoi le développement durable restera une décoration offerte aux entreprises tant qu’il ne s’attaquera pas à la mondialisation néolibérale. Encourager les bonnes pratiques sur la base du volontariat sans rien changer aux lois du commerce international relève de l’arnaque pure et simple.
Il faudra donc prendre tôt ou tard des décisions éminemment politiques. Il faudra se rappeler qu’elles peuvent être de plusieurs natures : réglementaires, économiques, informationnelles, d’action publique directe... En jouant intelligemment de plusieurs instruments, un Etat peu tout à fait mettre en œuvre une réelle politique de développement durable. Le cadre réglementaire permet de définir de façon globale un niveau minimum de « performance » sociale et environnementale. Les outils économiques offrent les moyens, à l’intérieur de ce cadre, de favoriser le mieux-disant. Imaginons une liste d’indicateurs socio-environnementaux. Par la réglementation, on leur associe le minimum acceptable auquel chaque activité devra se conformer. Dans un deuxième temps, ils servent d’assiette au calcul d’une taxe, qui peut très bien toucher les activités résidentes de l’Etat en question (celles qui se déroulent sur son territoire), mais aussi les importations de produits et de services. Enfin, ces mêmes indicateurs peuvent servir de base au calcul des aides publiques aux entreprises qu’il serait enfin temps de conditionner plutôt que d’attribuer les yeux (presque) fermés.
A ce jour, de telles mesures sont évidemment difficiles à concevoir. Mais elles seraient un moyen crédible et efficace pour redonner du sens à cette notion déjà usagée de développement durable. Puisqu’aucun gouvernement ne semble avoir le courage de le faire, c'est aux citoyens de lancer le débat public sur ces questions.
Commentaires
Parmi les réflexions qui essayent d'interpréter la tendance, il faudrait peut-être regarder aussi celles qui analysent le développement durable comme le vecteur d'un nouveau processus de "gouvernementalisation", par exemple : http://yannickrumpala.wordpress.com/2008/11/16/le-gouvernement-du-changement-total/
C'est un bon début de réflexion, un peu plus tard il serait nécessaire de se dire "Qu'il suffirait de ne plus en acheter pour que ça s'arrête" Le pouvoir est dans nos porte monnaie, et chaque achat est acte écologique ou criminel à moyen terme.
Avons nous besoin de politiciens pour acheter ? d'organisation ? la solidarité vis à vis de la planète suffit.
A l'origine du déséquilibre il y a aussi notre incapacité à aimer le travail de la terre originel et nourricière.
La sitation est de Coluche.