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Titre du blog : Démondialiser et coopérer
Auteur : abernier
Date de création : 28-11-2007
 
posté le 28-11-2007 à 12:09:28

Quand l’écologie devient anti-sociale

En mars 2003, le groupe Metaleurop liquidait sa filiale Metaleurop-Nord, qui exploitait une fonderie de plomb et de zinc à Noyelles-Godault, près de Lens. L’opération laissait 830 ouvriers sur le carreau et abandonnait à la collectivité un des sites les plus pollués de France. Prétextant la concurrence chinoise, Metaleurop, qui voulait à tout prix fermer cette fonderie, entreprit de déstructurer peu à peu son activité. L’arrêt du site marqua la fin d’un véritable coulage, organisé pour mener à bien un projet de délocalisation. Comme pour venir à bout d’un service public, il est facile de rendre inefficace une structure privée, en décidant par exemple d’une logistique aberrante ou en laissant le matériel se dégrader. Dans le cas de Metaleurop-Nord, le groupe n’hésita pas non plus à jouer d’un argument terriblement efficace : celui de l’écologie. La pollution sur des dizaines de kilomètres carrés, dont les dirigeant s’étaient toujours parfaitement accommodés, allait devenir un argument pour justifier la fermeture. On fit venir des élus Verts, pour constater les dégâts. Ces derniers iront s’épancher dans les médias en assurant que, effectivement, le site de Noyelles-Godault devait stopper son activité. Les salariés en lutte s’en souviendront longtemps, et peu d’entre eux seront encore susceptibles de voter écologiste un jour. Pourtant, loin de constituer un triste souvenir du temps où les industriels ne parlaient pas encore de « croissance verte », cet exemple terrible en annonce bien  d’autres.

 

Aujourd’hui, la pression environnementale s’est largement accrue avec la question du changement climatique provoqué par les émissions de gaz à effet de serre (GES). Les entreprises européennes sont soumises depuis 2005 à un système de quotas de GES échangeables, souvent appelé « marché de droits à polluer ». Pour la période 2008-2012 durant laquelle s’appliquera le Protocole de Kyoto, le volume global de quotas délivré aux industriels par les gouvernements de l’Union européenne sera réduit par rapport à la période 2005-2007, et le principe du marché des GES s’étendra aux autres Etats signataires. Mais comme souvent, les firmes tentent par tous les moyens d’échapper à la contrainte, notamment grâce au « Mécanisme de Développement Propre » (MDP). En réalisant des projets faiblement émetteurs de GES dans les pays en développement, les industriels peuvent en effet obtenir des quotas supplémentaires utilisables en Europe. Les coûts d’investissement étant sensiblement plus faibles en Chine ou en Inde, chaque réduction des volumes de quotas délivrés par les pays occidentaux à leurs installations résidentes constituera donc une nouvelle incitation à délocaliser. En dépit des bonnes intentions climatiques, voici à quoi mène une mondialisation libérale qui organise le libre-échange entre des pays aux normes sociales et environnementales diamétralement opposées. C’est dans ce cadre que des groupes comme Arcelor-Mittal procèdent déjà à un chantage aux délocalisations à mots à peine couverts, réclamant à corps et à cris des quotas supplémentaires pour continuer à émettre des GES comme ils l’entendent. 


Si les salariés occidentaux risquent de subir de plein fouet les conséquences d’une approche libérale de l’écologie, les citoyens ne seront pas épargnés, bien au contraire. D’une part, il est une question taboue qui mérite pourtant d’être posée : comment éviter que la contrainte environnementale, qui impose à la production des coûts supplémentaires, ne soit répercutée sur les prix de vente par les industriels ? De la même manière, comment éviter que les aides publiques aux particuliers ne génèrent une inflation aboutissant à faire de l’écologie un privilège réservé aux familles aisées ? Depuis des années, les aides publiques accordées aux particuliers pour l’accès aux énergies renouvelables n’ont fait que transiter par les ménages. A cause d’une augmentation ahurissante des marges sur le matériel, elles alimentent en fait les caisses des entreprises. Or, dans le « Grenelle » voulu par Nicolas Sarkozy, ces deux sujets sont encore une fois soigneusement éludés. Mais il y a encore plus grave. Par les temps qui courent, où le climat focalise toutes les attentions, le comble de l’écologie anti-sociale se retrouve dans un projet qui ressemble à une mauvaise blague : celui des quotas individuels de GES. Le gouvernement britannique envisage très sérieusement d’allouer un volume annuel de quotas à chaque citoyen majeur. Crédité sur une carte à puce, ce volume serait débité à chaque paiement d’une facture d’électricité, lors du remplissage d’une cuve de gaz ou de fuel, ou à chaque plein d’essence, proportionnellement aux émissions de GES générées. Si le compte est vidé avant la fin de l’année, le citoyen devra racheter des quotas supplémentaires en bourse. Ainsi, le smicard qui parcourt 40 kilomètres par jour dans une vieille voiture pour aller travailler et qui loue un logement mal isolé dans une région froide sera laminé au nom de la crise écologique. Ce qui n’empêche pas des environnementalistes comme Mme Dominique Voynet d’approuver ce système. 


En réponse à des logiques aussi mortifères, il est urgent d’impulser un mouvement aux ambitions radicalement différentes. Sur la base d’une écologie sociale et solidaire, nous devons porter des propositions concrètes dont la mise en œuvre puisse se faire sans attendre. En premier lieu, l’Etat doit reprendre un contrôle réel sur les activités économiques afin d’orienter à la fois la production et la consommation. Au niveau national, cette re-politisation de l’économie passe d’abord par le conditionnement ferme des 65 milliards d’aides publiques accordées chaque année aux entreprises et par le renforcement des exigences sociales et environnementales dans la commande publique, qui pèse 234 milliards. Ensuite, le durcissement de la réglementation sur les émissions de polluants doit être défini comme une priorité absolue, en particulier pour les 200 sites qui pèsent 86% des quotas de GES délivrés en France. Il doit se doubler d’un système de taxation, en particulier d’une taxe carbone/énergie, qui produise dans des délais très courts de profondes mutations technologiques. Mais comme cette taxe seule possèdera toujours les deux mêmes effets pervers, à savoir la répercussion sur les prix et l’incitation aux délocalisations, il est indispensable d’aller plus loin. Il ne faut l’envisager qu’avec deux corollaires : la mise en place de nouveaux droits de douane sur la base de critères sociaux et environnementaux et une nouvelle politique d’administration des prix par les gouvernements. La première mesure, qui revient à remettre enfin en cause le libre-échange, est sans doute la seule à même de mettre un coup d’arrêt aux mouvements de délocalisation. La seconde serait un moyen d’éviter que les entreprises ne fassent payer le coût de la protection de l’environnement aux citoyens. Si nous n’ouvrons pas rapidement le débat public sur ces questions, nous risquons encore longtemps de laisser le champ libre à une écologie de plus en plus libérale.

 

Commentaires

Djulian le 14-07-2008 à 12:40:37
"On fit venir des élus Verts, pour constater les dégâts. Ces derniers iront s’épancher dans les médias en assurant que, effectivement, le site de Noyelles-Godault devait stopper son activité."


Je serais assez curieux de savoir à quel passage média il est fait référence ici, la position des Verts ayant toujours porté sur le risque sanitaire que faisait courir l'activité du site sur les travailleurs et leur famille, mais nullement de se réjouir de la fermeture du site.
yoyo le 28-11-2007 à 12:50:21
le thème de ton blog est vraiment très intéressant! j'ai hâte de lire la suite...

et bienvenue sur vef!
aurore le 28-11-2007 à 12:47:09
Bienvenue chez VEF ! bonne continuation