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Titre du blog : Démondialiser et coopérer
Auteur : abernier
Date de création : 28-11-2007
 
posté le 13-04-2011 à 21:28:57

Comment mettre en oeuvre le protectionnisme écologique ?

 

 

Controverse dans la revue Regards, par Sophie Labit| 16 mars 2011 - Pour Aurélien Bernier (M’PEP) et Yannick Jadot (Europe écologie), l’impact du commerce international sur la détérioration de l’environnement n’est plus à démontrer. Ces militants s’accordent sur la nécessité d’un protectionnisme écologique, mais s’opposent radicalement sur la stratégie pour y parvenir.


Qu’est-ce que le protectionnisme écologique ?

Yannick Jadot  : Personnellement, je préfère parler de protection de l’environnement en lien avec les échanges commerciaux. Le terme de protectionnisme sous entend qu’on protège son pays, son industrie des autres pays. Or, il ne s’agit pas de se protéger de l’extérieur, mais de protéger la forêt, le climat, les populations des pollutions, etc. Aujourd’hui les échanges commerciaux sont responsables d’environ 20 % des émissions de gaz à effet de serre. Pour protéger le climat, il faut donc agir sur ces échanges, en les contraignant, en les régulant, en les interdisant ou en les promouvant.

Aurélien Bernier  : Le débat sémantique me paraît assez secondaire. Parler de protectionnisme écologique et social permet justement de se différencier d’un protectionnisme de repli et montre qu’on ne cherche ni à supprimer les échanges commerciaux ni à instaurer une concurrence déloyale entre Etats. Emissions de gaz à effet de serre, pollutions chimiques, épuisement des ressources… Les grandes puissances économiques profitent de la quasi-absence de législation sur l’environnement. On ne peut donc envisager de répondre à la crise environnementale sans réguler le commerce international, en ayant recours à des mesures telles que l’interdiction de produire certains produits dangereux ou la taxation des importations en fonction de critères sociaux et environnementaux. L’objectif étant aussi d’instaurer un commerce équitable entre Etats.

Comment envisagez-vous la mise en oeuvre de ce protectionnisme écologique et social ? Quelle stratégie souhaitez-vous adopter ?

Yannick Jadot  : Il existe des accords environnementaux qui permettent de réguler les échanges. Pour exemple nous avons réussi à stopper l’exportation de l’épave du Clémenceau vers l’Inde en nous appuyant sur la convention internationale interdisant aux pays européens d’exporter leurs déchets toxiques vers les pays du Sud. Cependant ces accords ne suffisent pas puisque parallèlement l’Europe négocie des accords de libre échange en totale contradiction avec les objectifs environnementaux. Alors qu’il est urgent de stopper la déforestation dans la zone tropicale, l’UE prépare des accords avec un certain nombre de pays favorisant de fait la libéralisation du commerce du bois. Il faut agir sur la cohérence des politiques. On ne peut pas avoir en même temps une politique qui protège et une politique qui détruit. Nous devons réussir à intégrer dans les accords commerciaux des éléments environnementaux et sociaux qui priment sur l’objectif purement commercial. Et dans le même temps nous devons aussi réfléchir à des mesures antidumping en vue de nous protéger des importations qui favorisent le dumping social et environnemental.

Pour vous l’Europe reste l’échelon pertinent pour l’instauration d’un protectionnisme écologique ?

Yannick Jadot  : Absolument. Pour moi, le grand débat d’aujourd’hui est celui de la souveraineté. A savoir : où pouvons-nous encore agir sur notre destin ? Actuellement, le problème n’est pas la perte de souveraineté visà- vis de l’Europe mais visà- vis des marchands et des marchés. Certes, en matière d’environnement, l’échelon global semble davantage idéal pour instaurer une réglementation, mais en tant que première puissance commerciale du monde, l’Europe peut tout à fait impacter sur le commerce mondial en établissant des taxes et de nouvelles normes environnementales.

Aurélien Bernier  : Je ne suis pas d’accord sur le choix de l’échelle européenne. Rappelons tout de même que l’Europe a inscrit dans ses fondamentaux la promotion du libre échange et que le traité de Lisbonne ne permet ni le contrôle ni la taxation des capitaux. Il existe donc une contradiction fondamentale entre la quasi-totalité des directives et des règlements européens et les questions environnementales. Les réglementations sur les OGM ou les gaz à effet de serre se limitent essentiellement à faire un peu d’emballage écologique, mais au final elles visent à garder intact les conditions du libre échange et du commerce international. On peut toujours essayer de changer les choses de l’intérieur, cela permet de faire passer un discours mais en aucun cas d’aboutir à des changements majeurs. Car pour ce faire, il faudrait remettre en cause les fondamentaux de l’UE.

Que proposez-vous ?

Aurélien Bernier  : La désobéissance européenne  ! La restauration de la primauté du droit national sur le droit communautaire. Pour instaurer une taxe carbone au niveau européen il faut l’unanimité des 27 Etats membres et compte tenu des rapports de forces politiques existants entre ces pays cela semble aujourd’hui impossible. Si on souhaite une taxe carbone nous devons la décréter au niveau national et faire fi de l’UE. De la même manière, si demain Europe écologie ou le Parti de gauche arrivait au pouvoir et voulait instaurer une véritable politique écologique, ils se heurteraient à l’UE. Ils auraient alors le choix entre abandonner leurs propositions écologiques ou choisir de désobéir. Au M’PEP (Mouvement politique d’éducation populaire, ndlr) nous sommes arrivés à la conclusion que changer l’Europe de l’intérieur nécessiterait de mettre à bas le traité européen et la quasi-totalité des directives. Cela risque de prendre un temps infini, or nous devons stopper l’empreinte écologique et le désastre social de toute urgence !

Mais comment faire pour étendre ces mesures aux pays voisins ?

Aurélien Bernier  : Si nous réussissons à élire un gouvernement de gauche qui met en place une régulation des échanges sur la base de critères environnementaux permettant d’aller vers un mieux-disant écologique, on imagine sans peine que les mouvements écolos des pays voisins ne resteront pas les bras croisés. Cela aura pour effet d’amplifier un mouvement revendicatif et permettra de montrer qu’il est possible de provoquer des basculements sans passer par les institutions européennes mais en tablant sur la politique de la preuve. Pour nous la mise en oeuvre d’un protectionnisme écologique et social passe inévitablement par l’adoption de mesures unilatérales.

Yannick Jadot  : On peut décliner ce raisonnement à l’infini. Considérer que le niveau régional est davantage pertinent que l’échelon national, etc. La question de l’échelle est évidemment essentielle. Je suis d’accord avec le fait qu’une partie de la reprise en main de nos destins passe par le niveau local, par notre capacité à sortir des systèmes de la grande distribution, à privilégier les circuits courts, à favoriser les réseaux des PME et les entreprises d’économie sociale et solidaire. Chaque échelle doit avoir son sens. Oui, l’Europe a beaucoup perdu. Mais la solution n’est pas de la rediviser. Pour que l’UE puisse discuter les questions globales il faut qu’elle reste une puissance économique, politique et commerciale. L’échelle européenne n’est pas l’échelle de la défaite. Elle peut l’être mais elle peut aussi être l’échelle de la construction.

Aurélien Bernier  : Il n’existe pas de souveraineté populaire à l’échelle de l’UE, ce qui constitue une grande différence avec les Etats. Si le parlement européen était de gauche, on aurait tout de même une institution ultralibérale construite sur un traité ultralibéral. Le parlement a des pouvoirs limités. Il est notamment incompétent sur les questions de commerce international.

Yannick Jadot  : C’est faux ! Nous ne sommes pas incompétents. Depuis la ratification du traité de Lisbonne nous sommes dans la codécision.

Aurélien Bernier  : C’est la Commission seule qui négocie les accords avec l’OMC.

Yannick Jadot  : Ce n’est pas la question des institutions qui bloque mais celle de la volonté politique. Si, dans les années 1990, Jospin, Blair et Schröder avaient voulu construire une Europe sociale, ils auraient pu le faire. C’est une des grandes défaites de la gauche de ces années-là.

Aurélien Bernier  : Quoi qu’il en soit l’Europe sociale n’existe pas et elle n’existera jamais. Les institutions sont verrouillées et mener un combat de l’intérieur n’amènera pas les changements escomptés tandis qu’à l’échelle nationale c’est encore possible.

Yannick Jadot  : Sans la réglementation européenne sur l’environnement, la France serait aujourd’hui encore plus en retard sur ces questions qu’elle ne l’est déjà. Nous sommes un pays conservateur en matière environnementale. Si la Politique agricole commune (PAC) est si peu écologique et sociale, c’est parce que la France a défendu le pire des modèles productivistes. C’est donc bien l’échelle nationale qui ici fait défaut et non l’échelle européenne. Les lois européennes ne sont que le résultat des positions des Etats. Certes la Commission est d’obédience libérale, mais si demain les chefs d’Etats étaient majoritairement issus de la gauche, José Manuel Barroso serait pour la régulation !

Cela ne résout pas la question du pouvoir du parlement européen…

Yannick Jadot  : Le pouvoir du parlement est trop faible. Aujourd’hui ce sont les chefs d’Etat qui élisent le président de la Commission européenne et non le parlement. Conscients de cet état de fait, nous combattons pour que l’institution européenne soit politiquement déterminée par la majorité parlementaire. Cependant je crois que les échelles sont multiples et qu’il n’existe pas de lieu clé où tout doit être décidé. Parfois il faut jouer l’Europe pour gagner les Etats, parfois il faut jouer les Etats pour gagner l’Europe. Tout est pertinent ! Au final, seule la volonté politique est vraiment déterminante pour modifier les rapports de force. Il nous faut donc convaincre nos concitoyens de la puissance du modèle écologique.