Du ministère français chargé de l'environnement aux Nations Unies en passant par les grands partis politiques, chacun nous assure que la solution aux problèmes du chômage et de la dégradation de la planète se trouve dans l'emploi « vert ».
Pour l'Union européenne, le développement des énergies renouvelables créerait 410 000 postes d'ici 2020. Avec leur Grenelle de l'environnement, Nicolas Sarkozy et Jean-Louis Borloo annonçaient 535 000 emplois « créés ou maintenus » en dix ans. Des millions de postes sont promis par le Bureau international du travail si l'économie « verte » poursuit son envolée. Quant à Europe Ecologie, ils visent 10 millions d'emplois en 10 ans à l'échelle communautaire.
Les économistes chevronnés qui calculent ces chiffres ont sans doute longuement travaillé la question. On pourra néanmoins douter de leur objectivité à la lumière de quelques éléments, peut- être terre à terre, mais qui ont leur importance.
Tout d'abord, certains de ces emplois « verts » semblent presque aussi fictifs que ceux de la mairie de Paris à la grande époque du RPR. Dans la plupart des méthodologies, on y intègre des activités comme la gestion des déchets, le bâtiment (pour peu qu'on y pose quelques panneaux d'isolant thermique), ou l'entretien des espaces naturels. Quelle révolution écologique ! Surtout, on ne sait que rarement à la lecture des communiqués si les emplois promis sont de véritables créations ou des reconversions. Dans le détail des rapports, on comprend que ces « nouveaux » postes viennent le plus souvent en contrepoids de destructions qui, elles, ne font l'objet d'aucun chiffrage.
Il semble également que la couleur de l'emploi dissimule un peu facilement les conditions de travail. Pour l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), les 235 000 postes créés dans le bâtiment par le Grenelle correspondent en fait à 75 000 équivalents temps plein, et à des situations très précaires.
Aux Etats-Unis, un rapport de l’organisation Good jobs first dénonçait en 2009 la précarité dans le secteur des technologies « vertes », en particulier des salaires souvent inférieurs à ceux des autres industries. Constat d’autant plus scandaleux que les entreprises sont soutenues avec de l’argent public : dans une des centrales solaires américaines étudiée par les rapporteurs, le montant des aides publiques s’élève quand même à 326 000 dollars par emploi créé.
Mais pouvoirs publics et écologistes s'attardent rarement sur ce point, car ils possèdent un autre argument : les emplois « verts » ne seraient pas délocalisables puisqu'ils se situent soit dans la haute technologie (énergies nouvelles, véhicules peu polluants...) soit dans le service de proximité (bâtiment, entretien des espaces naturels...). Et c'est bien là que se trouve la principale erreur.
La mondialisation a montré qu'une production mise au point dans les pays occidentaux est rapidement expédiée dans les pays à bas coût de main d'oeuvre sitôt la technologie maîtrisée. La fabrication des biens « verts » n'échappe pas à la règle. Déjà, les productions de panneaux solaires ou d'éoliennes sont délocalisées pour augmenter les profits. Dès 2007, la Chine devenait le premier producteur mondial de modules photovoltaïques et fabriquait 56% des composants pour éoliennes vendus sur la planète, dans des conditions sociales et environnementales déplorables. Les pays émergeants se positionnent d'autant plus rapidement sur ce créneau que deux paramètres ont changé en quelques années. D'une part, ils ont à présent de sérieuses compétences dans des technologies de pointe. D'autre part, la Chine détient à elle seule plus de 95% des ressources en métaux rares qui, justement, sont indispensables pour produire des équipements « verts ». Or, le gouvernement n'autorise les firmes étrangères à accéder à ces gisements que si elles viennent produire en Chine.
Restent les emplois de proximité. Pour eux, l'Union européenne a imaginé la directive « services », adoptée en 2006, dont l'objectif assumé est de permettre la « libre circulation des services » entre le vingt-sept Etats. Autant dire la concurrence acharnée. Encore un peu de patience et les chantiers du Grenelle seront effectués à moindre coût par des salariés bulgares.
La morale de cette histoire saute aux yeux. La conversion écologique de la production ne peut se faire qu'après avoir relocalisé toute la production utile, qu'elle soit polluante ou « propre », pour la mettre sous contrôle démocratique. Il faut rompre avec l'Organisation mondiale du commerce et sa stratégie du libre-échange, désobéir aux orientations ultralibérales de l'Union européenne, et mettre en oeuvre le droit opposable à l'emploi. D'ici là, il serait bon que les partis, les syndicats ou les militants ne se laissent pas abuser par des stratégies qui confortent le capitalisme.
Article paru dans l'Humanité Dimanche du 16 septembre