Depuis le tournant ultralibéral des années 1970, les politiques environnementales suivent deux directions à première vue contradictoires : le localisme et le mondialisme. Le localisme, c’est faire croire que la planète sera sauvée par les actions de proximité qui, aussi intéressantes soient-elles, ne risquent pas de remettre en cause l’ordre économique. À l’inverse, le mondialisme consiste à enterrer les ruptures en les renvoyant à un niveau mondial. Pour pouvoir agir, il faudrait un accord international sur le climat, une Organisation mondiale de l’environnement ou une taxe globale sur les transports…
Si le localisme est totalement décalé par rapport aux enjeux, le mondialisme est, lui, totalement illusoire. Il n’existe aucune chance de voir émerger de consensus, alors que la mondialisation consiste justement à jouer du dumping écologique et social. L’Organisation mondiale du commerce ne permettra jamais que des clauses environnementales viennent entraver les échanges. Et Nicolas Sarkozy – ou d’autres – peut bien faire semblant de vouloir une taxe carbone aux frontières de l’Union européenne puisque le traité communautaire l’interdit purement et simplement.
Mais cette double stratégie poursuit en fait un seul objectif : faire reculer l’État et la démocratie pour libérer les forces du marché. Les grandes puissances économiques ont mis le libre-échange au cœur de leur projet. Pour les multinationales, le libre-échange, c’est pouvoir s’implanter n’importe où sur la planète, produire ce qu’elles veulent dans les pires conditions, vendre cette production sans entrave et maximiser leurs profits. Cerise sur le gâteau, le libre-échange permet de tirer vers le bas les normes dans les pays riches par la mise en concurrence de tous contre tous. Les seules « solutions » environnementales tolérées doivent être compatibles avec ce système, à l’image du scandaleux marché des droits à polluer. Et pour que cette machine bien rodée fonctionne, il faut abattre l’État protecteur, régulateur, redistributeur, cet État qui pourrait mettre en œuvre des politiques différentes. Le bilan du capitalisme néolibéral est sans appel. Ces dix dernières années, les émissions de gaz à effet de serre ont augmenté d’au moins 25 %. Tous les indicateurs écologiques sont au rouge et les indicateurs sociaux suivent le même chemin. Le sommet de Copenhague fut bien l’échec cuisant auquel nous devions nous attendre, le grand absent des débats ayant été, comme d’habitude, le commerce international. Nous devons maintenant tirer deux conclusions de ce désastre. La première est que le libre-échange doit être combattu en priorité. Il faut réguler le commerce international, en limitant ou en interdisant certaines productions et en taxant les importations en fonction de critères sociaux et environnementaux. Mais comme l’objectif n’est pas de pénaliser les populations des pays pauvres, cette mesure doit s’accompagner de mécanismes forts de solidarité internationale : redistribution du produit de cette taxe aux frontières, annulation de la dette des pays du Sud et reconnaissance de la dette écologique, création d’un statut de réfugié climatique. Briser la spirale du libre-échange, c’est casser le chantage aux délocalisations. C’est se donner les moyens de relocaliser l’économie avec pour objectif le plein-emploi et le contrôle démocratique de la production. Le second enseignement est qu’il faut arrêter d’attendre un accord international illusoire et rompre dès maintenant avec le capitalisme néolibéral. Si la gauche arrivait au pouvoir dans un pays comme la France, elle devrait prendre des mesures unilatérales qui, loin de l’isoler, donneraient au contraire des idées et des espoirs aux autres peuples. Elle devrait dénoncer les règles de l’OMC et pratiquer la désobéissance européenne, c’est-à-dire construire un droit national juste, même si ce droit est contraire au droit européen. Comme interdire une fois pour toutes les OGM, stopper l’agriculture productiviste, taxer les profits des grandes firmes pour financer des politiques ambitieuses. La seule « avancée » de Copenhague est d’avoir montré que nous n’avons plus d’autre choix.
Aurélien Bernier
Auteur de le Climat, otage de la finance (2008, Mille et une nuits) et Ne soyons pas des écologistes benêts (à paraître).
Article paru dans l'Humanité du 10 avril 2010